24 janvier 2008

La Mort rigolarde.

Celle-là, franchement, je crois qu’elle détient le plus grand talent humoristique qui soit tant elle fait preuve d’une insolente fraîcheur dans ses méthodes. Jamais avare de nouveaux procédés, Dame Mort réussit à innover au moins aussi vite que nous autres nous évoluons ou même régressons. Qu’importe pour Elle notre niveau culturel ou social, en bout de chaîne Elle pointe notre bilan d’existence pour y agrafer, le sourire en coins, une note plutôt salée puisque éternelle et non modifiable. Pas commerciale pour deux sous, la Mort nous fait donc payer le passage et ne fait jamais d’acompte ou de ristourne sur le fait de trimballer nos âmes sur le Styx.

Pourquoi est-elle comique ? Mais regardez-nous ! C’est pourtant flagrant : chaque jour l’on trouve le moyen de nous faire passer l’arme à gauche avec un éventail de possibilité qu’aucun autre service public est capable d’offrir. Depuis le conflit localisé, l’accident stupide et même improbable jusqu’à l’anéantissement par le feu nucléaire le panel est impossible à détailler dans son ensemble. Toutefois, il est possible de donner quelques tendances où l’humour noir de la Mort fait son office avec plus ou moins de réussite : la Mort solennelle, la Mort imbécile et la Mort inévitable. Pour celle solennelle nul ne peut mettre en doute que malgré un aspect sérieux et souvent triste celle-ci peut révéler un côté plaisantin et taquin de notre chère faucheuse. Oui ! Voyons, vous ne voyez pas ? Le général qui a envoyé ses hommes au casse-pipe finit toujours par les rejoindre sous la bière et nul doute n’est permis concernant la revanche ironique de la dame assassine au moment de la fermeture du caveau. Elle doit bien rire cyniquement en lui ouvrant ses bras décharnés en accompagnant le passage à l’au-delà d’un « Tiens, tes potes t’attendent à la porte ! » excluant toute possibilité d’esquive. Que dire aussi de la fin « tragique » du vieillard qui s’est accroché à son chapelet jusqu’au bout de sa prostate décomposée. Lui aussi offre un portrait mêlant pathétique et sublime du ridicule de croire que la Vie peut se prolonger indéfiniment. Papi entêté finit toujours par donner aux asticots la tétée.
Bien sûr, c’est difficile d’admettre la perte d’un proche, surtout si celui-ci n’avait rien à se reprocher ou si son âge ne justifiait pas la moindre possibilité de corruption, mais malgré tout ce genre de considération bassement humaine disparaît au profit de la considération générale qui annonce clairement que tout naissant doit tôt ou tard négocier son évacuation avec le bureau de la Mort… navrant pour certains, inacceptable pour d’autres, et indispensable à mes yeux. Quitte à croire en une justice universelle j’aime autant que ce soit la Mort qui s’en charge…

Pour le second exemple nul besoin d’en ajouter : la fin tragique remplacée par le destin comique offre à lui seul un potentiel inégalable de quolibets et de rires gras. Que nous sommes forts et malins pour nous pendre avec une rallonge électrique, nous noyer dans dix centimètres d’eau, nous rompre le cou en faisant l’andouille sur un vélo, ou bien nous broyer intégralement en voulant jouer les oiseaux… sans parachute. Là, à la limite il y a fraude tant la Mort se sent presque inutile dans l’ajout du comique, l’Homme suppléant alors à l’imagination du destin par la sienne bien plus stupide. J’ai à l’esprit quelques gags dignes d’une classification déjà évoquée ici et nommée les Darwin Awards. Sieur Darwin (caricaturons) a suggéré que l’évolution écrémait la Vie en faisant mourir les inadaptés et les faibles. Vu que notre société a fait des progrès, c’est la bêtise humaine qui fait se travail et à merveille d’ailleurs. La Mort a du piquer un fou rire en gérant les trois crétins noyés en tentant de sauver… un poulet, en ouvrant sa porte à l’américain crétin (qui a dit pléonasme !) ayant eu l’ingéniosité de se servir d’une balle de magnum comme fusible, et fin du fin la mégère faisant ses carreaux sur un escabeau branlant alors que la fenêtre est grande ouverte sur huit étages à pic. Méchanceté gratuite mise à part, il est bien clair que l’humour décalé de la Mort est efficace, non ?

Après, disons enfin la Mort inévitable est commune à chacun de nous. Comme une bonne mécanique qui, même superbement entretenue, finit par rendre l’âme (que c’est beau !) nous soufflons notre dernière bougie avec l’amertume égoïste de ne pas avoir tout fait, la joie d’en avoir parfois trop fait, et surtout la fierté déplacée d’avoir évité quelques bévues. En quoi sommes-nous si bons puisque, malgré nos milliers d’années d’Histoire, nous trouvons encore le moyen de nous concevoir des méthodes de Mort de plus en plus sophistiquées et efficaces ? La Mort se frottait les mains en Egypte, se faisait une bonne bouffe à Rome, se délectait de notre incurie pendant les grandes pestes et aujourd’hui encore pique-nique un peu partout dans le monde. Certes le menu n’est pas si varié que cela mais il y reste ce piquant de l’innovation, la sauce tabasco versée à grosses gouttes sur notre idiotie perpétuelle. Mort, marre-toi, tôt ou tard je viendrai moi aussi payer l’addition et je sens qu’on va tous les deux se marrer l’un de l’autre. Pourquoi je ris d’avance ? Parce que, où que je finisse, toi tu seras condamnée à continuer ton boulot nécrophile, sans repos, sans paix, sans vacances alors que moi je n’aurai qu’une seule et unique facture qui restera probablement impayée à jamais.

Tiens, il y a comme une odeur de faisandé dans la pièce… à c’est toi la Faucheuse ? Et oui je causais de toi !

- Tu n’as pas honte de te moquer là ? lança-t-elle en grommelant.
- Honte ? Honte de te dire merde avec les formes ? Franchement toi qui sais que je viendrai te voir… tu n’as donc aucune patience ?
- Le gratte papier tu serais avisé de la boucler vu que c’est Moi, Mort, qui tire tes ficelles de pantin débile.
- Débile, débile, tout de suite les grands mots ! Toi aussi tu es un pantin car si nous avions un doigt de jugeote tu serais au chômage de temps en temps.
- Penses-tu ! Vous êtes tous trop cons pour accepter vos différences et moi seul, de ma faux, vous remets à la même hauteur.
- L’Homme comme gazon maudit… belle allégorie Mort, mais j’objecte que tu ne peux pas décider pour nous !
- Ah parce que c’est toi qui décidera quand et où tu auras ton attaque ?
- Et le suicide ?
- Un pis-aller pour raccourcir et me faciliter la tâche.
- Et l’apocalypse ?
- Prétentieux comme commentaire. D’apocalypse vous ne méritez pas le terme car seul Dieu, ou un Dieu peut y prétendre. Vous, vous allez vous faire sauter la tronche en famille, ça sera plus de l’ordre du baroque que du solennel.
- La fin des Temps ?
- Tu ne la verras pas, pas plus que tes contemporains andouille. Bon, on y va ?
- Hé ho ! Je n’ai pas encore pris de ticket ! J’ai le temps !
- Et moi j’ai tout le mien, et à jamais. Au fait, ton ticket, comme celui de chacun de vous est déjà imprimé et archivé… à bientôt abruti de philosophe !
- Je ne suis pas philosophe.
- Non certes, mais tu l’ouvres trop pour être juste une grande gueule.
- …
- Quoi ? Pas content l’humain ?
- Merde…
- Comme tu dis ! Merde pour l’avenir !

Ce sur quoi elle partit en riant et en sifflotant gaiement la marche funèbre de Chopin.

Connasse !

Aucun commentaire: