22 février 2008

Journalisme (suite)

Après l’article d’hier je me suis dit qu’il serait intéressant d’observer le courage dont ont fait preuve certains rédacteurs et photographes lorsqu’il a fallu transmettre l’information malgré des conditions difficile de travail. Pour la plupart leurs noms sont restés dans l’anonymat alors que leurs textes et clichés sont devenus cultes. On a tôt fait d’ériger des statues à la gloire de ceux qui tiennent un fusil mais jamais à celui qui a osé relater l’horreur et la réalité. Je trouve qu’ils méritent un hommage autrement plus appuyé qu’une journée organisé par reporters sans frontière qui finalement se noie dans l’indifférence la plus totale. Tout au plus une publicité arrive à mettre en émoi les gens quelques secondes au moment du repas pour ensuite retomber et se perdre dans les méandres des images clignotantes les moins intéressantes qui soient. Caser la lutte pour la liberté de la presse entre le décap’four et l’eau de javel me semble tout de même lamentable. Un écran noir ? Qui s’en préoccuperait ?

Des victimes ordinaires pour des comportements extraordinaires, voilà qui saurait résumer l’attitude de bien des journalistes quand ils doivent subir la censure et l’oppression des régimes totalitaires. Garants de l’information sans propagande, ils subissent alors les geôles, la torture et souvent la mort pour que le silence remplace les paragraphes. Depuis que l’information est devenue indispensable les dictatures se sont chargées de museler les journaux puis les autres médias de sorte à s’assurer une chape de plomb concernant ses exactions. Quelle différence entre le journaliste mort d’avoir osé prévenir l’Allemagne de son avenir nazi et celui qui n’a pas accepté de taire les crimes de Pol Pot ? Aucune si ce n’est le lieu. L’un comme l’autre occupent une ligne dans les listes de victimes et l’un comme l’autre sont aujourd’hui oubliés par leurs contemporains. Messieurs dames, vous qui êtes libres de penser et d’analyser en toute indépendance, songez donc à ce qu’ils ont subi pour vous obtenir ce droit. Nul n’est plus garant de l’indépendance du peuple que les organes d’information et nul n’est plus tributaire de la protection du peuple. Sans lecteur une plume n’est rien, sans plume le peuple n’est plus que bétail.

Certains sont morts d’avoir voulu être là où l’information se perdait : Liban, Tchétchénie, Afghanistan, nombre de photographes dits « de guerre » ont péri pour avoir voulu montrer au monde l’horreur quotidienne que nous autres, chanceux de ne pas connaître la misère ou l’oppression systématique puissions voir et critiquer. A toi tombé sous les balles d’un camp ou de l’autre j’ôte ma casquette et salue ton abnégation. Toi qui est partie à Sarajevo pour y comprendre le conflit je te salue sur ta tombe… mais à toi intellectuel qui se pointe après les flammes pour y prêcher ta doctrine j’offre une volée de plombs. Ne laissons pas cet héroïsme désintéressé être renié sous prétexte que ses collègues sont pathétiquement encroûtés dans le confort d’une presse sans relief.

Aujourd’hui encore énormément de pays vivent des situations politiques dures et même des conflits armés sanglants. Pour une bonne part d’entres eux nous sommes incapables de les localiser et pour ceux qui, par chance nous connaissons nous nous avérons incapables de savoir qui se bat et surtout pourquoi. Sommes-nous devenus sourds aux douleurs de notre monde ou bien soutiendrait-on le principe du « moi d’abord » ? J’ai du mal à croire que dans une nation qui a subi l’occupation, la dictature, l’obligation de révolution pour se séparer de ses rois nous soyons tous arrivés à en être si individualistes. Ils paient le prix du sang et de l’enfermement pour que la population puisse savoir, nous sommes aveugles en regardant ailleurs… Honte à nous.

Il est plus facile d’aller fouiller les poubelles d’un ministre faisant cocu sa femme que d’aller remuer la boue d’un champ de bataille perdu dans la forêt. Il est plus simple de se cantonner à une lecture partielle et partiale de l’actualité que de reconnaître que la simplicité n’amène que l’incompréhension. Enfin, il est bien moins légitime de se déclarer journaliste quand on colporte des vérités tronquées que quand on a vécu soi-même cette actualité. J’ai en mémoire les larmes honnêtes d’un journaliste ayant vu la misère des camps de réfugiés au Sahel, j’ai au fond du cœur le bourdonnement du silence d’un commentateur perdu au milieu du fracas des chars américains et j’ai dans la tête la douleur honnête du caméraman filmant la mort de son collègue, abattu par un tir ami.

Certains osent aussi agir à proximité, montrer nos déviances, remuer cette mare où nous nous posons sans y prêter attention. Chômage, alcool, stupéfiants, errances du monde moderne, prostitution éternelle, tout ce que la modernité et la « liberté » a de pire à nous montrer. Nous ne nous offusquons plus de la faim en Afrique que celle ordinaire dans notre métropolitain. Quand parfois une caméra ou un appareil photo se pose dessus… ça fait mal. Ca remue.

Merci à toi, vrai journaliste. Merci à toi, honnête colporteur de la réalité et non des mythes faciles à digérer. Enfin… merci à toi d’être tombé avec à l’esprit le devoir qui est le tien de nous permettre de comprendre ce qu’est notre monde.

Le site de reporters sans frontière

Aucun commentaire: