17 juillet 2008

Liberté de la presse

Comme souvent je me prends à rebondir sur l’actualité comme le ferait une balle de caoutchouc dans un couloir. En effet, il s’avère que des journalistes sont mis en examen pour une affaire d’espionnage industriel suite à la plainte du constructeur automobile Renault. Recadrons un peu l’histoire : des salariés de l’ex régie ont fournis des informations sensibles au journal Auto Plus, chose qui a provoqué les foudres de la direction de la société qui a porté plainte. Au fur et à mesure de la procédure les locaux du journal automobile ont été perquisitionnés et un journaliste placé en garde à vue. L’idée n’est pas tant de s’attaquer au journal par lui-même mais de faire avouer à la rédaction le ou les noms de leurs informateurs. Dans un but de justice nous devons nous pencher sur ce sujet sensible qui, semble-t-il, selon les termes de Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication : « Je suis toujours mal à l'aise quand un journaliste est mis en garde à vue et lorsqu'un journal est perquisitionné et je tiens à rappeler mon attachement intangible au principe de la liberté d'informer ».

Deux aspects majeurs sont à identifier dans cette affaire : le point de vue légitime de la société Renault et l’aspect journalistique avec la protection des sources. Prenons le premier point de vue : une entreprise à la pointe de la technologie sur un marché concurrentiel investit de grosses sommes afin de mettre au point des produits susceptibles d’être mieux acceptés que ceux des concurrents, et qui plus est compte énormément sur le design pour se démarquer. Sur ce principe toute divulgation anticipée des études menées en interne amène forcément les autres sociétés à prêter une oreille attentive voire à s’inspirer des « découvertes » et orientations choisies. Mine de rien si Renault peut y perdre en parts de marché les autres en profiteront sans vergogne. A ce titre il est donc assez légitime que Renault se plaigne ouvertement des fuites d’informations vers un journal à aussi fort tirage que Auto Plus. Ajoutons au surplus que non content d’être un coût l’étude d’un nouveau modèle est aussi une stratégie établie sur le moyen voire long terme. La déclinaison d’une gamme (ou segment) ouvre parfois des portes inattendues : dans les années 80 Renault ouvrit la voie pour les monospaces avec le Renault Espace (le bien nommé) qui fut de son temps un best seller sans concurrence. Imaginons si Peugeot, Mercedes ou bien d’autres avaient eu vent de ce concept, m’est avis qu’ils auraient sortis un modèle équivalent bien plus tôt. Dans ces conditions exiger du journal le nom des salariés mettant en péril des années de travail et potentiellement des millions d’Euros d’investissement est normal et même obligatoire.

A contrario je me pose une question plus insidieuse. S’il s’agit de secrets industriels la morale offre à Renault une ouverture et une compréhension généralisée, mais s’il s’agit de quoi que ce soit d’autre, est-il normal de tenter d’imposer un aveu de cette manière ? De nombreux scandales tant financiers que politiques furent divulgués avec l’aide de taupes bien informées et soucieuses de mettre fin à des pratiques plus que douteuses. Si une personne morale porte plainte et estime diffamant l’édition de ces dossiers, le tribunal doit-il alors imposer à la rédaction de dénoncer la source ? Peut-on, dans un état de droit considérer que la liberté de la presse doit être assujettie à de telles obligations ? La morale n’est pas forcément du côté de la plume, mais pour autant elle ne doit pas devenir une monnaie d’échange ou un moyen de pression sur les éditeurs. Il est souvent délicat de prendre pour agent comptant les propos tenus dans bien des articles mais mine de rien imposer une « transparence » illégitime serait alors mettre à mort la vraie presse, celle d’enquête et d’investigation, celle qui ne se contente pas des communiqués fournis par les conseillers en communication, celle qui fait les poubelles des grands pour y trouver le formulaire ou le dossier suspect qu’on tente d’escamoter à la vue du public. La transparence ce n’est pas faire d’un journal un vase vide c’est avant toute chose empêcher la presse de déblatérer des âneries pour faire du papier.

Considérons donc le juridique de tout ceci : qu’est-ce qui empêche dans l’avenir une perquisition au canard enchaîné si celui-ci découvrait des malversations financières dans un parti politique ? Qu’est-ce qui ferait qu’un pigiste ne finirait pas entre quatre murs pour lui forcer la main et lui faire avouer qui est le mouton noir du parti ? Trouver un équilibre entre obligation de délation et protection des « témoins » est indispensable et légiférer sur cette question est plus qu’urgent. Je suis totalement convaincu que bien des organes de presse furent contraints à se taire ou à éluder l’essentiel parce qu’il y avait un arsenal légal suffisamment fort pour les coller dos au mur. L’état de droit ne doit pas conserver une telle faille facilitant tant la censure que le déni d’information. On sait tous que nombre de journaux se gargarisent d’informations fabriquées, notamment dans la presse populaire « people », mais pour tous les journaux sérieux laisser une telle procédure se terminer revient à leur mettre une arme sur la tempe en leur murmurant à l’oreille « pas de souci, si tu bouges on te descend ». Espérons simplement que tout ceci sera réglé avec bon sens et non de manière discrète en poussant à bout Auto Plus et finalement en lynchant les bavards.


BONUS! (Et oui comme dans les films en DVD!)


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