19 septembre 2008

Abstrait

Certaines personnes évoquent avec une évidente nostalgie leur enfance, leurs frasques et autres jeux plus ou moins dangereux qui émaillent leur mémoire. Moi, je me contente de constater sans dépit ni tristesse que mon enfance se contenta de lieux communs, de gestes sans prise de risque inutile et d’une adolescence guidée plus par le bon sens que par l’enthousiaste jeunesse que l’on prête aux rebelles boutonneux. En tout état de cause tout ceci me semble profondément abstrait, d’autant plus quand il s’agit de glorifier ses escalades sur un pommier géant s’avérant être à peine un arbuste frêle et fragile, ou bien de se croire Hinault sur la selle d’un vieux clou de BMX aujourd’hui stocké dans la cave. La nostalgie joue pour certains à plein, d’autres vont même jusqu’à l’extase béate en se souvenant du visage du premier amour ou de la première embrassade gênée avec une fille aujourd’hui femme. Que reste-t-il de tout cela me concernant ? A bien faire le tri je n’en sais rien, ou du moins je n’arrive pas à faire cadrer mes informations intérieures avec cette publicité de soi.

Enfant, mis à part le fait d’avoir été (et d’être toujours) un solitaire forcené je n’ai guère de traits à coller sur des fiches signalétiques. Comment s’appelaient ces gosses qui étaient dans ma classe ? Je n’en ai pas la moindre idée, et le fait de regarder une photo de classe de primaire me met au désespoir car aucun d’eux ne semble m’avoir suffisamment marqué pour que je m’en souvienne. Tout au plus ai-je la vague sensation d’une chaise en bois fixée solidement à un pupitre antédiluvien, de son toucher râpeux à force d’avoir été décapé, poncé et raboté, et puis l’impression qu’il était constellé de nuages d’encre noire. Qui était à gauche, étais-je près de la fenêtre ? Seule la lueur passant à travers de grandes baies vitrée me revient, ou du moins la couleur orange des rideaux qui tamisait le soleil et qui se faisait inondation sensorielle dans la salle. Qu’ai-je dessiné ? Aimais-je déjà la mécanique, les avions, les voitures ? Rien ne me revient, il me semble que tout ceci coule et que ma mémoire s’est empressée de ne rien conserver. On dit que le temps passe et est assassin pour les souvenirs, j’ai pour ma part la conviction de m’être dépêché de ne rien stocker de superflu. Je l’ai vécue pourtant cette enfance, ces courses dans la cité HLM où je suis né ! Oui je revois bien les marronniers, les pantalons de velours et les bonnets en hiver, mais ce gamin avec sa cagoule verte, ce blond paille qui sourit à l’objectif, ce n’est pas moi ou plus précisément il n’est plus moi.

La photographie d’un enfant est schizophrène car deux personnes se battent pour le même corps : l’adulte qui a du mal à revenir en arrière et l’enfant qui ne se projetait pas vers cet avenir lointain et incertain de grande personne. Etais-je turbulent, malpoli, brutal ou même cruel ? Pas moyen de me redonner une image précise de ce qu’était ce trois pièces où j’errais, d’après mes parents, livre en main et silencieux au possible. Construire des choses en Lego, concevoir un autre monde que celui morne où l’ivresse, le travail harassant et l’accent étranger de mes parents semblait être une bonne échappatoire. Grandir, grandir vite et bien si possible, ne pas se cantonner à la médiocrité ambiante, était-ce des décisions personnelles ou un mimétisme avec le labeur familial ? Impossible d’en juger, tout ce que je sais c’est qu’au final ce môme aux yeux bleus est un adulte qui ne se souvient pas de ses rêves. Qu’importe, mieux vaut enfouir certaines choses si celles-ci plombent le présent, quitte à se torturer l’esprit pour les retrouver. Et puis certains ont de la mémoire pour soi, ces amis, ces adultes qui vieillissent trop vite et qui évoquent, la voix chevrotante vos premiers pas, votre premier tour à vélo sans les petites roues et puis vos genoux écorchés à trop vouloir suivre les grands. Où sont-ils, tous ces gosses ? Il paraît que certains ont faits de la prison, d’autres sont des paumés, les derniers réussissent plus ou moins… et il n’en reste que très peu que l’on peut joindre et inviter à discuter autour d’un verre ou à une table d’un restaurant quelconque. Les temps changent ? Probablement…

Et puis l’enfant se retrouve jeté dans le monde des ados, cet environnement où tout est expérimental, où chacun essaye avec plus ou moins de bonheur les choses qui deviennent ensuite le quotidien : les sentiments amoureux exacerbés, le sexe, l’alcool pour certains, le tabac pour d’autres, malheureusement les stupéfiants pour une petite population… Bref le renouveau dans la continuité, la révolution sans canonnade si ce n’est intérieure et surtout passée sous silence. C’est aussi un monde de frustration où le fils d’ouvrier jalouse un peu celui de banquier et son cyclomoteur flambant neuf, où la fille trop mignonne n’arrête son regard que sur le pseudo rebelle à cheveux longs qui lui-même deviendra ensuite comptable ou professeur de français, et finalement ce rêve d’avoir un jardin à soi, pas le jardin commun des immeubles sans âme stockant les vivants dans des cases formatées. Amoureux ? C’est flou, pas même un prénom à remettre en ligne, juste une abstraction de Picasso d’une fille un peu femme que l’on désire sans trop savoir pourquoi. La tentation ? Attirance de l’interdit que l’on contre en se contentant d’un peu d’excès pas trop visible pour ne pas décevoir, et puis l’acceptation aussi bien contrainte que voulue que « le porte monnaie est trop petit ». Et pourquoi s’en plaindre ? La faim et le froid ne furent pas des composantes de mon existence.

Puis un jour on devient adulte. Certains font ce passage confortablement, en temps et en heure, en ayant eu ce luxe de pouvoir regarder avec quiétude le passé. Je suis devenu un adulte à 15 ans je crois, quand j’ai pris ma place dans une camionnette de chantier, un petit matin frileux d’automne. Quand on passe du jean basket au blanc de peintre, quand les mains abandonnent les crayons et stylos pour le grattoir et le balai on apprend vite à ne plus geindre sur des détails insignifiants. Etait-ce nécessaire d’aller aussi vite en besogne ? Inutile de se poser la question, c’est fait, tout comme c’est aujourd’hui que je prends la mesure du chemin parcouru. De gosse je suis passé à adulte sans la case ado boutonneux et poétiquement empêtré dans l’exaltation de ses rêves entre les deux. C’est sans complaisance que je me regarde, que je vois que de souvenirs de fêtes, de « boums » comme on disait à l’époque j’en ai que très peu. Un larron moi ? Jamais je pense, j’avais que trop le nez dans ces foutus livres qui vous dictent la Vérité avant de vous enseigner le rêve. Tout va si vite… Tellement vite qu’on n’a que peu de temps pour emmagasiner des sensations pour pouvoir les ressortir d’un tiroir des années plus tard. Les miennes sont un mélange de white spirit, de peinture glycérophtalique, du goût de la poussière de plâtre, ainsi que d’un mélange d’aluminium et de graisse mécanique pour mes études. Pourtant j’ai toujours fait glisser un crayon sur une feuille pour dessiner et m’oublier dans « l’art ». Rêver ? Je n’ai plus ces rêves, et je ne les retrouve même pas. Dommage.

Et puis l’adulte se reprend à rêver, à envisager avec torpeur la naissance de sa descendance, à voir la femme aimée dire oui, lui donner une alliance, se faire valider le tout par un maire ou un adjoint… Puis il étrangle le tout quand sa dernière rencontre devient dispute et échec, quand tout ce qu’il construisait en rêve redevient poussière. Il se rabat alors sur le passé, idéalise l’adolescente tant convoitée, puis se souvient l’avoir revue, mégère improbable mariée à un imbécile phallocrate et xénophobe. Pauvre égérie qui était une féministe convaincue, la voilà dans le carcan qu’elle honnissait de tout son être ! Est-ce pire de voir le rêve s’effondrer ou bien l’oublier totalement ? Je ne me souviens plus de mes rêves, je ne me souviens plus si elle(s) avai(en)t un prénom… Tant pis !

Ainsi va la Vie, abstraite dans son écoulement tortueux, abstraite dans son commencement sans mémoire et sa fin sans histoire…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

je me souviens de mon enfance en province , de ma scolarité , mais aucun souvenirs des camarades ..
et puis les grands pulls pour cacher les rondeurs de femme ..

c'est tes écrits qui m'ont fait me souvenir....
avec bonheur d'une ville que j'ai quitté pour venir vivre dans l'indifférence parisienne ..
corrine