09 septembre 2008

Aventure littéraire en transport

Qui de moi ou de la foule est réellement bizarre ? Est-ce le fait que je sois souvent nanti d’ouvrages probablement peu conventionnels qui fasse que je sois sans arrêt l’objet de regards de biais ? En quoi avoir un Karl Marx entre les mains ou bien une biographie d’un grand dictateur serait une marque d’opinion personnelle ? Certains supposent non sans raisons que je suis un provocateur, et qui plus un provocateur sur des terrains glissants. Il est facile de se moquer du physique, du handicap, bref de faire du racoleur à peu de frais mais s’aventurer sur l’histoire ou la politique s’avère autrement plus excitant, du moins pour moi. Revenons donc aux livres : j’estime qu’il est indispensable de connaître son ennemi pour pouvoir le combattre efficacement, et apprendre ce qu’est le fascisme ou la façon dont les pires tyrans sont arrivés au pouvoir est à mes yeux vital.

Tenez, prenez ces deux couvertures :


Bon, il est vrai que voir apparaître le mot « fascisme » en toute lettre désoblige pas mal les quidams confortablement installés dans le bus, mais de là à en risquer l’assassinat oculaire les bras m’en tombent ! Le second est encore plus subtil non ? Il faut comprendre de quoi il s’agit et sans un minimum de culture général difficile d’être pris en défaut… Quoique, même comme cela ne pas montrer un livre de gare apparaît comme une provocation. Dites, c’est une constante de devoir devenir comme tout le monde ? Pourtant il n’existe rien de plus nécessaire que d’apprendre et donc de savoir, d’autant plus à une époque où l’on nous sert de plus en plus de précuit à destination de l’abêtissement des masses. Je sais, je l’entends déjà le militant ayant toute foi dans les organes de presse, lui qui va me brailler que la vérité sort toujours des journaux et que je suis quelqu’un qui est paranoïaque. Admettons, laissons lui le bénéfice du … ah non après tout, il suffit d’énumérer les conneries proférées par nos scribouillards et nos politiciens sans âme pour se convaincre que seul le doute doit régir nos vies. Bref, prendre le bus et lire tranquillement peut devenir une véritable aventure pour éviter les jugements de valeur.

J’admets qu’il m’est arrivé de pousser le bouchon à des fins scientifiques. Vous ne pouvez pas imaginer la façon dont je fus jugé en ayant bien face à moi une biographie de Trotski. Pourquoi diable les gens me regardaient ? Parce que le livre en question était de ces ouvrages format parpaing plein de couverture noire et au titre évocateur de … oui, Trotski tout simplement, ceci en grandes lettres rouge. Amusant pour moi, moins pour les autres. Ceci étant j’ai également pu profiter des commentaires pathétiques de quelques pseudo érudits ouvrant la conversation sur des « Et c’est qui ? » ou pire encore « C’était un salaud ! ». Magnifique que de poser de telles briques sur l’édifice de la connaissance humaine, d’autant plus que la seconde affirmation peut être aussi bien prise pour exacte que pour ridicule, tout dépendant tant de la période historique considérée que de l’opinion politique de celui qui la juge. Clairement il apparaît que la couverture est une arme de dissuasion ou de provocation. Et que dire des livres présents dans les listes sur la gauche ? La croix gammée, le bras tendu, et sacrilège ultime Hitler en couverture, il y a de quoi déclencher des émeutes. Tiens il y en a un qui m’a valu de sacrées remontrances d’un ignare doublé d’un goujat. Je lisais paisiblement (si, si ça m’arrive !) la biographie de Speer et le sagouin assis face à moi me tança, du moins s’y essaya en me déclarant « stupide de lire la biographie d’un salaud de cette espèce ». Ce fut particulièrement amusant de lui faire saisir la nécessité de savoir qui il y était et ce qu’il a réellement fait, ceci avec la tête froide de l’analyste dépourvu d’opinions. Allez comprendre, une fois ma diatribe terminée l’importun se fit tout petit puis disparut quelques banquettes plus loin… Ah la solitude, quel petit bonheur à soi dans les transports en commun !

Enfin, faites attention, les journaux sont aussi de beaux signes extérieurs d’opinion : lisez Marianne vous serez de gauche, lisez le Figaro de droite, pire encore plongez dans le canard enchaîné vous serez alors de gauche mais de gauche critique, et finalement ajoutez un petit Charlie hebdo et l’on vous classera dans les gauchistes songeant encore à 68… pauvres de vous vais-je dire sans ambiguïté : toute presse est bonne à lire du moment qu’elle sert de procédé de recoupement et non de bible intellectuelle. Le premier boulot d’un diplomate ce n’est pas tant la communication mais la lecture assidue de la presse pour comprendre le pays où il est. On ne s’improvise pas connaisseur sans se nourrir de l’essence même d’une nation, c'est-à-dire ses médias et ses écrivains. Alors, à vous les regards torves à moi la lecture de grands ouvrages politiques !

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