29 septembre 2008

Cliché cérébral

Cette note fait suite à la lecture d’un blog BD (celui de Boulet, voir la liste tournante à gauche de ce texte) que je me suis rendu compte que la plume avait un avantage étrange sur le crayon qui est de pouvoir restituer n’importe quoi en décalé alors que le dessin nécessite de croquer sur le vif les portraits. En effet, quoi de plus délicat que de retranscrire un visage à travers un croquis sans en trahir la beauté alors qu’en se servant de l’écrit l’on peut nuancer et romancer cette même figure ? Il serait alors malhonnête de prétendre que l’écriture est plus difficile que le dessin, non ?

Et pourtant bien des « auteurs » font tout un ramdam concernant (je paraphrase) « La besogneuse et longue pérégrination de leur esprit dans les limbes extatiques de la panne d’imagination ». Voilà qui est pompeux pour dire que l’on a pas tous les jours la fulgurance parmi ses idées ni ses écrits... Ceci dit c’est tout de même un rien mentir car après tout l’écrit se contente assez facilement de lieux communs, chose que l’art pictural ne tolère pas vraiment. Certes, il y a des canons et des écoles dans la peinture ou la bande dessinée mais chaque auteur a sa manière d’agir, sa marque qui permet de le distinguer des autres. En écriture, force est de constater que manipuler quelques phrases classiques offre une sorte de réussite garantie en usant et abusant par exemple de mots complexes. Je sais qu’il est utile d’être précis mais de là à jouer avec les nerfs du lecteur s’en échinant à caser tous les mots inconnus du dictionnaire il y a une marge !

C’est en relisant certains de mes textes que je peux aussi chroniquer sans hésitation celui qui emberlificote la forme sous prétexte d’avoir l’air intelligent. Ne me blâmez pas, c’est un jeu qui me plait presque autant qu’il peut plaire à mes lecteurs, et puis si j’étais si insupportable, que viendriez-vous faire ici si ce n’est perdre votre temps ? Bon sang ! Alors tout s’explique : mes lecteurs ne viennent donc pas pour apprécier une plume agile et grandiloquente mais simplement user d’un lieu « chronophage » et s’assurer intérieurement « de ne pas avoir perdu leur temps ». Seigneur, abattez moi je leur donne des prétextes pour gaspiller leur énergie ! Quoique, en y songeant plus attentivement je pourrais alors me targuer d’obtenir un tel résultat, un peu à l’instar des rédacteurs de lois et autres édits qui s’amusaient (et s’amusent encore) à saupoudrer leurs textes de termes juridiques aussi improbables qu’abscons pour le commun des mortels. J’ai donc une vocation : rédiger un nouveau code civil (ou pénal) tout en le vérolant le plus possible afin de permettre d’y trouver un maximum de failles où je pourrai moi-même m’engouffrer.

Revenons au dessin : nombre d’artistes annoncent sans fausse modestie qu’il est naturel pour eux de gribouiller et d’obtenir en quelques lignes un résultat des plus élégants. Ils ne sont pas prétentieux en répondant cela, c’est avant toute chose que le travail d’amélioration du trait, du style, d’affinage des courbes est plus du domaine de la satisfaction personnelle que d’un choix de besogneux accompli. Contrairement à moi ils peuvent donc dire « j’ai ça dans le sang », alors que ma plume, elle, trempe dans la sueur de mes lectures nocturnes et de mes débats sans fin. C’est là le paradoxe : l’écriture recèle des quantités insoupçonnées de feintes stylistiques propres à enrichir le discours mais nécessite a contrario de travailler énormément en amont sa culture. L’art pictural lui ne pardonne absolument aucune tare d’aspect puisque c’est son essence même alors que le style lui ne dépend d’aucun travail ou presque. Enfin, mesurons un peu mes propos : le style c’est aussi des influences extérieures et la découverte du passé ainsi que du présent de manière à en conjuguer les avantages et les techniques. Je ne peux pas dénigrer les heures passées aux beaux arts par nombre d’étudiants sans talent sous prétexte que je ne trouve pas d’intérêt à ressortir sans vergogne des « œuvres à la façon de... ».

Je sais, je suis vachard avec ces pauvres erres qui espèrent vivre de l’art et être reconnus pour leur talent. Pourquoi suis-je suis dubitatif ? Parce que l’art ce n’est pas se torturer pour faire plaisir, c’est avant toute chose se torturer pour s’exprimer. Il faut savoir aimer la douleur de la création avant d’en satisfaire les autres, et la fierté légitime du « j’ai fini » vient bien avant celle du « ça leur plait ». C’est ainsi : j’ai un cliché cérébral de bien des lieux que je serai jamais capable de dessiner, mais je saurai vous les décrire avec un minimum de précision pour que vous-même jouiez avec votre imagination.

Ah ! Autosatisfaction de prétendre à faire rêver...

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