05 décembre 2008

Macabre

L’Histoire s’est écrite avec le sang des uns et les armes des autres. L’Histoire s’est inscrite sur le marbre et le bois plus souvent qu’aucune pandémie n’a pu le faire. L’Histoire humaine, c’est l’abattoir qui ne dit pas son nom, qui se cache derrière le désespoir des uns et le malheur des autres. L’honneur, vertu portée en triomphe tant par la propagande que la morale populaire est systématiquement une valeur qui disparaît quand il s’agit de survivre. Sommes-nous donc si benêts pour ne pas trouver de solution où la discussion serait le mode de communication raisonnée de l’Homme ? A mon sens nous ne savons pas plus négocier qu’un loup négocie avec l’agneau, nous sommes des prédateurs les uns pour les autres et rien ne sait réellement assouvir notre soif de pouvoir plus que d’autre chose.

Nous nous sommes souvent voilés la face en supposant que c’est l’avidité de richesses qui a entraîné de grands conflits. Tel un prétexte facile à brandir, nous avons décrétés que bien des boucheries furent causées par le besoin territorial ou bien l’envie de richesse des sous-sols sous exploités. Tout ceci n’est qu’un mensonge, une illusion que l’on se borne à répéter de manière à ne pas se demander si, fondamentalement, nous ne sommes pas tous désireux d’avoir le pouvoir, ce pouvoir absolu qui permet d’avilir son prochain et qui offre toute latitude de décision sans risque de contradiction. A quoi sert l’argent si ce n’est à fournir un glaive déguisé en sceptre aux tyrans et autres despotes ? On finance une armée, on envahit une terre, mais l’on domine avant toute chose « l’ennemi », celui d’en face à qui l’on veut imposer un mode de vie, une religion ou simplement un fonctionnement économique. Qu’importe si l’adversaire se voit écrasé tant que la victoire permet d’engranger plus de ressources, et donc plus de pouvoir !

Le décompte des corps est une tâche macabre, lugubre travail de fourmi où l’on emballe et étiquette les corps, et où finalement le sens du mot humanité s’évapore à la vitesse où sèche le sang au soleil. La brutalité n’est qu’une expression de l’envie, la mort une résultante et non une finalité. Tout envahisseur se moque du prestige, il souhaite la victoire finale, celle qui lui offrira de nouvelles frontières et donc de nouveaux pouvoirs. Le fonctionnaire zélé tenant registre des disparus sera toujours celui qui ne connaîtra jamais le chômage, tout comme le fossoyeur qui aura vu dans sa vie d’homme un trop grand nombre de femmes, de jeunes et d’enfants finir sous une dalle sous prétexte qu’ils se tenaient là, chez eux, sur la ligne de front. La haine n’est pas un état forcé de la nature humaine, c’est même une de ses essences. Stimulez la rage et vous obtiendrez un bourreau efficace et désensibilisé à jamais. Nous ne sommes que quantité négligeable, matricule dans un bataillon ou bien nom sur une sonnette d’immeuble.

Lorsque je regarde les rues et avenues des grandes villes, je vois non seulement l’acier, le béton et le verre, mais aussi le sang de ceux qui se battirent un jour pour soit en préserver l’autonomie ou au contraire l’envahir. Cette ville nouvelle n’est-elle pas bâtie sur un ancien champ de bataille ? N’est-ce pas là les restes d’un soldat mort trop jeune que l’on vient d’exhumer par hasard ? Qui se souvient de lui ? Va-t-on l’exhiber comme un souvenir brutal et froid d’une histoire dont on s’empresse généralement d’oublier les leçons ? Il m’est difficile d’admettre sans ciller que nous soyons si ingrats envers ces femmes et ces hommes qui furent convaincus de leurs opinions et qui donnèrent leur existence dans un seul but : que nous soyons tous heureux dans le monde dont ils rêvaient. Ceux qui décident et font les guerres ne sont jamais ceux qui y meurent, et il est terrible de se dire que nous avons le décompte des morts à notre charge, et la victoire à la leur. Quand un « grand » perd, c’est un peuple qui souffre, quand cette même personne revendique la victoire il devient un être adulé et se targue d’avoir pris les bonnes décisions. Ils réécrivent l’Histoire si besoin est afin d’avoir une image de propreté morale, un peu comme ces clichés bidonnés par Moscou afin que l’armée rouge passe pour une troupe organisée et de bonne moralité politique. Pour ceux qui ne connaissent pas ces photographies il faut savoir que tous les clichés et vidéos fournies par l’URSS après la seconde guerre mondiale sont des reconstitutions voire même des photomontages. Les vidéos des camps libérés ? Scènes rejouées a posteriori. Photographies de la chute de Berlin ? Celle du drapeau tenue par un soldat russe fut retouchée afin d’effacer les montres qu’il avait volé sur les cadavres des soldats allemands. La liste est longue, infecte, dérisoire en comparaison des horreurs vécues par le monde et pourtant cette damnée liste nous sert de référence historique, de socle à nos connaissances.

Le pouvoir appelle le pouvoir, l’envie génère son lot de barbarie et rien ne saurait être plus terrible et infâmant que le désir mégalomane de certains au détriment du plus grand nombre. Les tombes s’alignent plus facilement que les bonnes volontés, tout comme il est plus facile de raser une ville que de la bâtir. L’Homme s’entête à croire qu’il est fort parce qu’il est intelligent, mais finalement sa plus grande faiblesse est de justement de croire que son intelligence sera sa planche de salut. Tant que nous supposerons que notre esprit permet de dépasser toutes les limites nous subirons encore le choix barbare de tuer toujours plus efficacement ceux qui ne pensent pas comme nous. Devrons nous revenir à un âge sans technologie, sans capacité, sans ambition afin que seule notre survie à tous sera le choix global, et donc d’exclure par cette communion forcée toute velléité de domination ou de haine de la différence ? Je reste perplexe sur notre avenir tant il est encore dicté par la force des convictions et non par la raison.

Comme dit le dicton : la raison du plus fort est toujours la meilleure. A méditer.

Aucun commentaire: