23 décembre 2008

Mollesse

Qu’il me soit donné d’exprimer avec véhémence ma bile vis-à-vis de l’humanité est déjà une chance, mais qu’en plus je sois capable de la mettre sous une forme somme toute compréhensible d’une part certes congrue, mais une part tout de même de l’humanité me rend heureux. En effet, quoi de plus jouissif que de pouvoir, sans la moindre hésitation, tracer les lignes de son esprit et de les exposer tel un exhibitionniste à une foule avide de critiques acerbes ? En ces termes l’idée d’écrire est donc un ravissement de tous les instants, d’autant qu’il m’est salutaire de relater ici même chacune de mes aigreurs avec l’emphase que vous me connaissez. Toutefois, il m’arrive de rester coi, silencieux et sidéré face à mes contemporains tant ils font preuve d’un don unique dans le règne animal : la connerie.

S’il y avait un temple à ériger et qu’aucune civilisation n’a daigné dresser c’est celui en l’honneur de la bêtise humaine. Dites vous que ce ne sont que les vertus qui sont supposées élever l’homme et pas ses travers, et que de fait, nul croyant ne se serait abaissé à s’incliner face au dieu de la stupidité. Pourtant, force est de constater que la modernité apparente s’apparenterait plus à une ode à l’imbécile construction humaine qu’à la richesse d’une société supposée évoluée. Evolution, voilà un mot bien pédant et qui n’a que faire de la réalité ! Par exemple, aujourd’hui encore j’ai eu le déplaisir de croiser cette jeunesse aussi désoeuvrée qu’inutilement abreuvée de publicité. La voici, déambulant sans but au cœur du temple de la consommation qu’est un centre commercial. Sont-ils là pour perpétuer le geste d’achat si cher à notre capitalisme galopant ? Même pas, il s’agit d’une errance sans but, d’une recherche du temps que l’on veut tuer et de la noyade oculaire dans l’opulence des rayonnages anonymes. Certes ils conversent, discutent les tarifs, taxent les marques de qualités et de superlatifs, mais tous font preuve de la même mollesse intellectuelle, de celle qui fait que l’on s’appesantit non sur la nécessité mais sur le superflu. Alors, depuis la conception de l’idée de besoin jusqu’au constat déprimant d’absence de ce dit besoin, cette jeunesse se trouve donc prisonnière de critères stupides et dénués de fondement. Navrant.

A vrai dire, la fausse idée que le tempérament sert à la préservation est aussi dangereuse que vaine. Regardez donc : celui qui hurle ses grands dieux qu’il ne se laissera pas piéger par le système se presse généralement pour ne pas rater le journal du soir ou bien se dépêche d’être dans ses pénates pour lancer le dernier jeu à la mode sur sa console dernier cri. D’ailleurs de cri ce n’est alors plus qu’un piaillement informe, le genre moineau étouffé par les serres d’un aigle trop heureux de se saisir d’une proie aussi facile. Mous ils sont, mais c’est avant toute chose par choix conformiste que par l’apparition d’une quelconque contrainte. Nous ne sommes pas en terre sous l’égide d’un despote, bien que l’on pourrait fort justement estimer que le nouveau dictateur de notre monde est le roi monnaie. Dans cet esprit il est donc plus simple de courber l’échine en prétendant que c’est nécessaire pour pouvoir faire de l’argent. Nous sommes donc vraiment cons car nous nous avilissons de bonne grâce à l’économie de marché qui est le masque souriant d’un monstre, que dis-je un démon plus dangereux encore, celui de la conformité ordinaire.

Mine de rien notre monde se divise qu’en deux grands groupes. Desproges déclarait : les juifs et les antisémites. Moi je vois plutôt ceux qui sont tenus de consommer et ceux tenus de produire. Bien sûr la première population agit aux dépends de la seconde, et ce depuis que le câble électrique ou téléphonique a supplanté le coursier à cheval. Nous nous devons de symboliser une réussite sociale, quitte à devoir ravaler nos idéaux les plus élémentaires. Il est plus difficile de croire en la liberté quand une baïonnette vous fouille les omoplates répondra avec justesse le nord coréen, et paradoxalement il sera presque aussi dur de croire à l’égalité des chances quand le banquier vous tiendra en joue avec ses taux d’intérêt exorbitants. C’est le jeu : on a remplacé le canon par le portefeuille et l’artillerie des prix semble plus efficace pour raser une ville qu’un bombardement allié sur Dresde. Fermez une usine vous tuez la région, détruisez la elle sera reconstruite. A croire que nous sommes attachés à la prison professionnelle plus qu’à la liberté individuelle.

Et puis c’est la catastrophe : trois charlots en goguette jouent avec les économies du monde, nombre de bidouilleurs boivent le bouillon, ou du moins font boire la tasse aux épargnants, puis l’on décrète que le système est trop permissif, voire malsain. Aussi bêtes que des ânes lancés dans le transport de l’artillerie napoléonienne dans les Alpes, nous voilà prêts à nous abreuver à la sainte résurrection des idéaux communautaires, à la dive régulation des marchés, et ceci le temps d’apaiser la saine fureur supposée nous libérer de l’enfer économique. Rêveries de comptoir, fantasmes de ménagère perdue suite au naufrage de son livret A, nous voilà réduits à espérer et donc à être les imbéciles que nous devons toujours rester. Humainement c’est plus facile d’avaler une pilule que de prendre un suppositoire nous dit le gamin atteint d’une bonne grippe. Pas faux petit, mais ne va pas demander à tes parents ce qu’ils ressentent après avoir lu le relevé de leur banque qui a, en tout bien tout honneur, placé leur capital dans des actions aussi factices que peuvent l’être aujourd’hui les emprunts russes. Pourtant nul n’ira incendier le siège de ces banques, nul ne se rebellera contre cet état de fait. Nous sommes vraiment stupides parfois.

Finalement l’épreuve de force n’aura pas lieu. Avec une jeunesse aux neurones lessivés par un demi siècle de paix et de pacifisme gluant, et une population vieillissante qui se refuse elle aussi au combat sous prétexte que le confort, même piquant est mieux que l’inconfort total, il me sera difficile de croire que nous révolutionnerons le dispositif actuel. Nul n’est prêt à admettre que le prix à payer pour une remise en cause de notre connerie est de savoir être prêt à sacrifier toute chose, y compris soi-même. Le pragmatique va dire : qu’ils y aillent en premier, et ces mots seront repris par le couard. L’idéaliste ira de sa petite : il y a des solutions négociées ! Ce qui sera évidemment redit sans déformation aucune par l’hypocrite espérant temporiser. Et puis enfin, il y aura les fous, les névrosés, les inadaptés sociaux comme moi qui revendiqueront une levée de boucliers contre la folie humaine basée non sur notre sort mais sur celui de l’or. En tout cas, j’espère ne pas être seul sur ce terrain !

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