14 janvier 2009

La morale

C’est une constante universelle, une certitude absolue à laquelle nul ne saurait déroger : il faut toujours une morale. Non que ce soit réellement une nécessité absolue pour l’homme, auquel cas aucune guerre ou aucun crime ne serait commis, mais c’est avant toute chose une méthode peu onéreuse et qui plus est bien pensante de nous farcir le crâne avec des banalités rassurantes. Depuis le « Tu ne tueras point » biblique jusqu’au « Les gentils gagnent toujours à la fin », nous avons donc une quantité invraisemblable de morales prêtes à l’emploi.

Le cinéma dans son ensemble ne saurait me refuser d’admettre ce constat. Allez quoi, soyez honnêtes, vendre un rassurant et charismatique héros qui s’en sort finalement assez bien ça a plus de chances de réussir que de pondre un tueur en série incapable de sentiments. Certes, le cinéphile va me balancer Hannibal Lecter au visage en agitant sa carrure et la force du personnage à l’écran. Fort bien, et en dehors de lui ? Personne ? Tiens étrange, et puis, à sa manière, Lecter n’est-il pas l’archétype même du héros qui est devenu cynique vis-à-vis de l’humanité ? La morale est globalement sauve puisque les victimes de Lecter sont pour une bonne part les « méchants » de l’histoire, et sa façon de faire, bien que dérangeante, s’avère efficace. De ce fait il est alors plus difficile de regarder un film sans vivre le dépit d’une scène de fin trop chargée de morale à bon prix. Reprenons notre fameux héros qui s’en prend plein les dents tout au long du scénario : quoi de plus mielleux que de le faire mourir pour sauver l’humanité ? L’Internet a même vu apparaître une expression pour décrire ce concept, c’est l’effet Armageddon (film où Bruce Willis sauve le monde en se faisant exploser avec une météorite menaçant la terre). Ce film résume en effet si bien le principe d’exergue de la morale qu’il en devient risible tant au premier qu’au second degré.

Poussons plus loin l’étude. Le cinéma c’est une chose, on peut omettre la morale en traitant froidement les sujets abordés (guerre, histoire…) alors que le petit écran lui est impayable dans la morale de quatre sous : séries télévisées où les héros sont inévitablement les vainqueurs (et ne meurent quasiment jamais), comédies bourrées de clichés de la ménagère, du couple libre ou des amis habitant sur le même palier… De quoi s’offrir de grandes crises de fou rire involontaires ! Moqueur ? Mais non allons, c’est un simple constat avec lequel jonglent les scénaristes. Il faut à tout prix que la fin soit acceptable et même belle, quant bien même toute la trame s’avère bourrée de méchancetés et autres morts en pagaille. Quoi qu’il en soit, c’est évident qu’on ne pourrait pas traiter le personnage central d’une série sans un minimum de complaisance ou de charité sinon le tout serait très mal perçu. Pourtant, pour en revenir au psychopathe à la Lecter, il existe bien Dexter qui s’avère être un tueur en série mais qui tue des fous comme lui. Pas de morale ? Hé bien si étant donné que la justice triomphe, même si c’est de manière assez bancale.

Les livres regorgent d’histoires diverses et variées, et paradoxalement l’écrit subit moins cette pression moraliste qui apparaît dans le multimédia. L’écrit offre bien plus de souplesse et, pour une fois, le gris est autorisé. Le héros peut être celui qui croit en une cause juste, mais il peut en même temps utiliser des moyens peu reluisants pour y parvenir. Cela doit être la raison qui fait que je préfère un livre au cinéma, car le livre ne m’impose pas totalement ses vues, il m’incite à imaginer les composantes du spectacle. Un film d’action noie le spectateur sous les explosions, les effets de tir et de caméras jusqu’à rendre le malade alors qu’un bon bouquin, lui, décrira, prendra le temps de bâtir des images et de nous laisser le champ libre. Bien sûr qu’il y a énormément de « classiques » supposés où la victoire revient aux gentils, mais dans le lot nombre d’entres eux annoncent aussi le prix à payer. Merci aux auteurs de séries et de films de reprendre un abonnement dans une bibliothèque, ils apprendraient énormément des auteurs qu’ils sont supposés adapter ou du moins paraphraser.

Je me moque et chronique tout cela en m’empressant de noircir le tableau, j’en conviens, toutefois j’aimerais aussi que l’on cesse de prendre le spectateur passif (vous, moi) pour un idiot. Chacun sait que la victoire du bien sur le mal n’est qu’une illusion propre aux contes de fées et que le quotidien est autrement moins charitable avec le commun des mortels. D’ailleurs, la richesse de ce monde c’est bel et bien, hélas, que nous sommes capables du pire pour mettre en suite en œuvre le meilleur afin de tenter de nous rattraper. Sans le mal, sans l’erreur, la charité et le bien n’auraient plus de sens après tout. Alors juste pour une fois, faites donc que le mal soit perdant mais que cela soit crédible, ou du moins sans une morale de cour d’école.

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