12 janvier 2009

Le moment de solitude

Cette expression pourrait être explicitée comme suit : « Subir une situation comique à ses dépends ». On peut par exemple estimer que le pauvre type qui se retrouve nu au milieu d’une place publique vit « un grand moment de solitude ». Pourtant, est-ce que le quotidien s’émaille de ces gags et autres fous rires, ou bien sont-ils l’apanage que du cinéma et des séries télévisées ? A tout bien y réfléchir je pourrais dans un premier temps répondre que rire se fait souvent (toujours ?) aux dépends de quelqu’un, et que par conséquent il est plus que probable que chacun peut vivre ce moment de solitude si pénible. Mais là intervient mon pragmatisme de fond de tiroir. A vouloir rire des autres on finit par passer pour un être cruel, un de ces monstres qui se regarde le 20 heures en s’enfilant des lasagnes et qui rote à la vue d’un enfant souffrant de malnutrition. Hé non ! Nous ne sommes vraiment des monstres incapables de compassion, tout comme notre rire se tait quand la situation ne se prête plus vraiment à la moquerie...

... Et pourtant ! Regardez donc autour de vous. Y a-t-il vraiment nécessité de jouer du gag de bande dessinée pour se moquer ? On voit bien le seau d’eau placé sur la porte, on visualise bien la pauvre fille glissant par inadvertance sur le verglas d’une esplanade, et pourtant la chute du type en béquilles dégringolant les escaliers en poussant de nombreux couinements de douleur ne semble pas exciter les zygomatiques. Pire encore : la violence ordinaire, l’hémoglobine pulvérisée sur les écrans choque encore et retourne même l’estomac alors que, dans une majorité affligeante de cas, l’esthétique obtenue est non seulement déplorable mais l’effet désiré totalement raté. Alors quoi ? L’humour cinéma ne passe pas au quotidien ? Quelle pitié, moi qui pensais que l’on pouvait se gausser sans arrière pensée du malheur d’autrui ! Tenez, n’est-ce pas drôle en diable de voir deux ahuris se démolir joyeusement le faciès suite à un malheureux accrochage en automobile ? N’est-il pas rigolo de suivre du regard la mère de famille désemparée par le tempérament insupportable de ses rejetons ? Si fait, je suis moqueur et cruel, mais j’ignorais qu’il existât un barème de rire « politiquement correct » en ce domaine.

Alors donc il faut savoir rire de peu de choses et se contenter d’être vaguement souriant à une chute sans gravité, pouffer sous cape des démêlés de X contre Y lors d’une séparation qui s’éternise, puis enfin rire franchement à la dernière plaisanterie, antisémite certes, mais au si bon goût d’interdit sans excès ! Du concret, du moment de solitude quotidien, ben quoi on ne peut plus s’en moquer ? Le type qui fait tomber ses clés de bagnole dans le caniveau et qui hurle à la mort, il ne vous fait pas marrer ?! Bordel, c’est pourtant con de ne pas rire face à cette intimité avec l’absurde ! J’aime rire, quitte à ce que ce soit à mes dépends, quitte en fait à ce que je sois ridicule. L’humour c’est avant toute chose rire de soi puis ensuite rire des autres. Je conçois qu’il soit délicat d’accepter la moquerie basse et sans épaisseur intellectuelle, mais quand on passe pour un con pourquoi se braquer ? D’autant que le tout à chacun a le chic pour vous enfoncer : « Allez rigole, c’est pas un drame ! ». Non c’est vrai, se bouffer une porte en verre par inadvertance, ce n’est pas le drame de l’année, mais le faire devant la superbe secrétaire sur laquelle on fantasme depuis des mois... Allons allons, du calme ! Le moment de solitude se doit donc d’être drôle sans être nécessairement méchant, bien au contraire cela se doit d’être un minimum disons... fin ? Non pas forcément subtil... Gentil ! Voilà c’est le terme, gentil, c'est-à-dire sans cruauté exagérée. Le type qui se trouve coincé dans les toilettes avec le rouleau vide, c’est du moment de solitude de compétition alors que le type qui confond le rouleau de papier tue mouche avec le dévidoir de papier toilette...

Bref, rions, moquons nous, n’ayons plus peur de cette franchise zygomatique qui semble s’être évanouie en même temps que le terme consensus est entré dans les mœurs. Je me fous de savoir si c’est méchant, bête, cruel ou quoi que ce soit d’autre ! Je ris, tout simplement parce que l’on se doit de rire. Rire de la mort, de la pollution qui nous étouffera tous, de la pathétique folie humaine, de l’inepte désir de conquêtes, bref de nous est salutaire, autrement plus que tous les discours moralisateurs qui émergent ça et là. Une société qui moralise c’est une société qui se censure.

Tiens, et si je m’envoyais un bon gros film franchouillard ? Pas subtil, pas fin intellectuellement, mais tellement drôle au premier degré...

« Si je chope le con qui a fait péter le pont... »

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