20 février 2009

En regardant par la fenêtre

Assis sur un fauteuil dont le style anonyme me rappelle ma fonction de grouillot parmi tant d’autres, je prends le temps d’observer le temps qui passe dehors. Sous la dalle bleue grise d’un ciel plombé par l’hiver qui tarde à mourir, les gens défilent, se hâtent et s’entassent sans qu’il y ait un semblant d’organisation. Telles des fourmis ils vaquent, marchent et même courent vers un inconnu dont eux seuls ont la connaissance. C’est ainsi : le vent s’engouffre entre les bâtisses glacées au style carcéral et je suis là, me demandant à quoi pourrait ressembler le tout piégé par la nature, intimement enlacé par le lierre et les branches d’arbres gigantesques.

La plupart des fenêtres sont faites pour refléter la ville au lieu de laisser apparaître les humains qui errent derrière. Froideur, noirceur du revêtement, ces immeubles semblent être autant de monolithes érigés à la gloire de la fortune et du pouvoir. Pourtant, ils sont chacun un cœur différent, une pompe à vie où défilent les globules que nous sommes, parfois même les parasites que nous pouvons devenir. Sans odeur, sans même une texture agréable au toucher, ils renferment pourtant notre quotidien et notre avenir à tous. Qu’ils seraient plus beaux avec des trouées, des traverses et des panneaux verdis, fleuris au gré du hasard des saisons ! La rouille serait alors une amie séduisante, les feuilles d’automne seraient un tapis agréable et curieux à nos pieds, et quand l’été serait à son zénith nous aurions des milliers de couleurs mêlées sous les yeux. Hélas, il n’y a que ce béton gris, cet acier peint en noir et ces âmes grises qui piétinent à l’arrêt de bus.

Que serait cette autoroute lointaine si, par le jeu d’une nature amusée elle se couvrait d’un gazon épais et moelleux ? On aurait alors de grandes coulées, des lignes sublimes traçant au milieu des cartes de jolies arabesques arborées, les poteaux et lampadaires seraient autant d’arbres féconds abritant des nids d’oiseaux et non des ampoules à la clarté artificielle. On pourrait s’allonger, scruter les nuages taquins formant nos rêves sur un tableau bleu, et le soir venu l’on écouterait en souriant les chants des cigales, les croassements de grenouilles, et même, avec un peu de chance, le ronronnement aussi apaisé qu’amusé d’un chat venu se délasser après avoir profité du soleil. Malheureusement c’est encore ces voies d’asphalte qui dominent, c’est encore le vrombissement sauvage des machines qui se fait le plus sonore.

Je sommeille presque, divaguant agréablement, comptant en moi-même les idées saugrenues qui se feraient fortes d’être, dans un hypothétique et impossible réel, de belles choses à vivre. On perdrait l’habitude de craindre les petites rues mal éclairées, elles seraient autant de chemins parfumés accueillant tendrement nos pas, on ne serait plus des victimes du béton mais des acteurs de ces nouvelles ruches à hommes heureux. Plus de ton sombre, plus de ce terne et récurrent carcan qu’est la palette des villes. On pourrait jouer avec les pastels, on n’aurait plus qu’à se dire « des roses ici ? Pourquoi pas tiens ! » plutôt que de se rappeler que sur le marbre rien ne saurait pousser.

Et enfin, je pourrais sortir, faire crisser la neige qui s’est déjà évaporée. Les enfants auraient une cour de jeu aussi grande qu’elles sont petites aujourd’hui, ils chanteraient, traverseraient les rues sans craindre les criminelles machines conduites par des écervelés toujours trop pressés.

On saurait dire « je t’aime » en passant sur les ponts au lieu de récolter les gens qui en sautent par désespoir.

On sourirait à la vision d’une tour Eiffel prisonnière de lianes et abritant un inoffensif et amusant microcosme. On ne se plaindrait plus du chant du coq, on l’aimerait parce qu’il existe.

Et l’on oubliera que l’homme a vécu en prison dans sa propre société de béton armé et de barreaux invisibles.

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