31 mars 2009

Apocalypse

Il m’arrive d’écrire sous le coup de la colère, de cette rage intérieure qui se définit par la frustration et l’impuissance de pouvoir changer les choses dans ce monde chaotique. Qui n’a jamais rêvé de voir la fin des temps, d’être celui qui, d’un poing serré, écraserait l’engeance que peut être l’humanité ? Alors, au fur et à mesure où les images mentales défilent, on construit un univers propre à terrifier le plus serein des philosophes. C’est peut-être par là que se tournent ceux qui, déçus de n’avoir trouvé comme réponse ultime que la haine ou la violence... Alors à mon tour de rédiger quelques lignes sur une idée de la destruction du monde par l’homme, une apocalypse où saint Jean n’aurait aucune influence. Libre à vous d’en juger la qualité.

Tout se décida comme s’il n’y avait jamais eu d’autre issue : les hommes s’agitèrent, courant çà et là pour s’organiser, vociférant des ordres et des consignes à des micros anonymes. Sous toutes les bannières des masses de soldats furent levées, et, tandis que l’on distribuait des uniformes, des messages furent rédigés à l’attention des masses silencieuses. Ils tenaient tous le même discours, ces maîtres du monde, ces dirigeants prêts à en découdre pour l’ultime fois. Tous prônaient l’anéantissement de l’ennemi, celui d’en face, celui si différent par sa religion, sa couleur de peau ou juste son appartenance territoriale. Et la rue, si indocile en général, se fit écho au lieu d’être dissonance. Les bras se tendirent, les banderoles se firent plus virulentes encore que la ligne officielle, comme si l’escalade devait être le fait de la société et non de ses guides.

On prit alors les mesures adéquates : l’étranger fut emprisonné, le poète dût s’expatrier pour échapper aux rafles, et enfin tous les médias furent expurgés des esprits critiques. Personne ne dit mot au moment où l’on pendit les professeurs, personne ne se rebella quand on détruisit les livres parlant de liberté ou d’égalité. Tout semblait si normal pourtant, si l’on exceptait les drapeaux pendus à toutes les fenêtres, si l’on exclue ces brigades arpentant les villes en quête des « agitateurs ». La tension devint palpable, la violence grondait telle la lave d’un volcan n’attendant que le pire moment pour exploser.

Lorsque les armées furent levées, les grands se menacèrent mutuellement, s’invectivant en s’accusant les uns les autres de provocations, d’agressions frontalières, ou de mouvements de troupes, tant réels que fantasmés. Aucune réflexion ne parut transpirer des minutes de ces entretiens, tout juste l’on put y trouver des signes évidents de décisions définitives antérieures aux réunions. C’était écrit, le scénario de la dernière pièce du monde humain avait ses actes déjà couchés sur le papier bien avant que nul n’en parle. C’est ainsi : les requiems se composent non sur les tombes mais en prévision des mises en terre.

Au petit matin d’un jour de printemps, les sirènes hurlèrent sur les capitales. Au-dessus des avenues, sur les terrasses des immeubles apparurent des ombres gigantesques, celles de machines volantes ayant pour but d’anéantir tout ce qui vivait au-dessous. Les bombes tombèrent par grappes, des tonnes d’acier et des hectares de flammes fondirent sur les civils. De la rectitude des quartiers il ne subsista alors qu’un maelström de ruines, un nuage de poussière et de braises mêlées, et finalement quand le vent éparpilla enfin ces immenses moutons de ténèbre, ce n’est plus qu’horreur et infamie qui furent visibles : sang, mort, destruction, flammes rongeant autant les vivants que les corps, tout ne fut plus que spectacle de fin des temps. Des larmes perlaient sur les visages tétanisés, des cris étouffés par le brouhaha des incendies sortirent des gorges asséchées.

Et l’on se mit en quête de vengeance, chacun répliquant à la violence par la violence, chacun courant vers sa perte en augmentant graduellement la force de la réplique. Les menaces devinrent réalité : plus de limite, plus de morale, sauvagerie, vengeance devinrent les maîtres absolus du monde. Nul ne fut épargné, on embarqua les petits états comme alliers de fait, les grands dévorèrent ceux qui refusaient d’agir. Les bataillons devinrent divisions, les armées se multiplièrent et tous payèrent un tribu toujours plus grand à l’autel de la folie. Chaque jour vit son lot d’horreur, son amoncellement de cadavres, son nombre de villes, de villages, de hameaux disparaissant à jamais dans le néant.

Puis un autre petit matin ils se décidèrent à la dernière extrémité, celle qui faisaient frémir et qui était alors devenu la seule solution : Armageddon. Les silos se vidèrent de leurs armes de fin du monde, le grondement des réacteurs vrilla l’air. Les traînées blanches firent du ciel un motif zébré. Les sirènes hurlèrent pour la dernière fois, enjoignant les survivants à se réfugier sous terre, à devenir des taupes, ou plutôt des rats entassés dans des caves, terrifiés par la signification de cette dernière et ultime alerte.

Alors ce fut le silence.

Alors ce fut le souffle supersonique et brûlant des détonations atomiques.

Nul n’entendit les derniers cris.

Nul n’entendit plus jamais de cri...

Aucun commentaire: