19 mars 2009

Expériences

C’est en discutant (une fois n’est pas coutume) histoire et politique que j’ai constaté l’écart ahurissant qu’il y a entre une jeunesse née dans la cotonnade délicate et légère de la France mitterrandienne et celle ayant grandie pendant les années titistes. Amusant parallèle à faire entre ceux deux personnes qui, au demeurant, semblent pourtant vivre dans la même nation. Le plus incroyable c’est qu’aussi bien sur les choses quotidiennes que sur l’éducation ou le fonctionnement des institutions, le français sera abasourdi par l’énonciation des règles de l’ex bloc de l’est. Incrédulité, étonnement, surprise, tout passera par ses yeux qui, malgré une flagrante volonté de compréhension, il restera coi face aux réalités d’un monde aujourd’hui disparu.

Prenons pour commencer la vie quotidienne. A ce jour, et ce hormis les périodes de matchs de l’équipe nationale, les rues n’arborent guère le moindre signe de nationalisme outrancier : point de drapeaux aux fenêtres, point de symboles politiques apposés sur les façades des mairies, c’est à peine si celles-ci osent encore revendiquer le drapeau tricolore. A contrario, voici l’image de ces ruelles d’une autre ère où chaque bâtiment public était frappé de l’étoile rouge, que chaque nom de rue était un chant d’honneur pour les grands personnages communistes, et que les places revendiquaient avec fierté la politique nationale. La rue de ma grand-mère se nommait « JNA », ce qu’il faut traduire par « APY », soit Armée du Peuple Yougoslave. Plus communiste rouge, tu meurs ! Cela choque encore les touristes qui découvrent parfois cet héritage sur les murs des bâtisses qui n’ont pas encore subies le marteau et le burin pour en chasser cette symbolique. Tenez, un autre aspect : aucune plaque d’immatriculation ne porte sur elle officiellement une marque politique...les plaques yougoslaves, elles, avaient pour séparateur central l’étoile rouge. Et tout était ainsi : le passeport, les documents officiels, la moindre communication de la mairie, bref tout était sous l’égide du parti. J’ajoute à cela le fameux carnet de travail, et l’inusable et malheureusement indispensable carte du parti. Ces deux documents représentaient à eux seuls la hantise de n’importe quel travailleur. En effet, au lieu d’être suivi par des contrats de travail, c’était le livret qui recensait chaque contrat, chaque commentaire ou note de compétence. Ainsi, une entreprise souhaitant vous pourrir la vie se contentait juste d’apposer un mauvais commentaire sur le livret. D’autres sociétés ou services eux exigeaient la carte. Pas de carte du parti ? Pas de travail.

C’était aussi simple que cela.

Quand on aborde l’éducation, le jeune adulte se souvient des moments de détente du collège, les expériences rigolardes du lycée, les fêtes lors des études supérieures. Celui né sous le règne de Tito lui a connu : les cours de défense de la patrie dès l’adolescence (avec un enseignement aux méthodes de guérilla urbaine), les cours de propagande du parti, l’obligation de chanter l’hymne chaque matin, et puis les fêtes de l’école forcément décorées d’étoiles rouges et de drapeaux incitant au patriotisme. Dès l’enfance on inculquait un respect forcené des institutions, de la nation, mais aussi des dirigeants. Ainsi, le commun des mortels se devait de vénérer les membres éminents du parti et de respecter leurs décisions, aussi ineptes fussent-elles en pratique. Comment comparer deux choses incomparables ? D’un côté une école laïque (bien que teintée de socialisme bobo), de l’autre une école de l’idéologie…

Bon, là, déjà notre français est dépassé par les évènements. Cela le dépasse, cet endoctrinement des masses, cette façon insidieuse de s’assurer la collaboration des enfants, futurs serviteurs de l’état roi. Mais complétons le tableau pour finir de le traumatiser ! Quitte à aborder la question, autant le faire à fond ! En France les sirènes d’alerte sont testées une fois par mois, et chacun s’en moque totalement. Loin de connaître les codes d’alerte, la population française est très majoritairement sereine, sûre de sa sécurité, certaine de l’inviolabilité de ses frontières. Fut une époque, on enseignait à la jeunesse yougoslave les procédures d’évacuation des lieux publics, à connaître par cœur les différentes sonneries d’alarme, dont notamment celle pour le bombardement nucléaire et celle pour les catastrophes naturelles. Etrange de songer que tous savaient où étaient les lieux de ralliement et que chacun se voyait tenu de tenir un rôle et une fonction précise...Aujourd’hui, évacuer une agglomération française sans heurt ? IMPOSSIBLE ! Là-bas, cela pouvait être envisagé sans difficulté. Ajoutez à cela une police normale paranoïaque, et une police parallèle pire encore et voilà le cliché d’une nation tenue de respecter un système totalitaire et déshumanisé.

Voilà enfin que notre français revient sur terre...il sue un peu, il est fébrile en se disant que tout cela se passait il y a moins de vingt ans, à une jetée de pierre de chez lui. Hé oui mon garçon, le monde n’est pas que l’hexagone, et ce n’est pas si lointain l’époque où l’on déportait des gens pour délit d’opinion...N’oublie jamais cette leçon : si cela a réellement existé, ce n’est pas difficile de le réitérer.

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