09 mars 2009

Miroir, mon beau miroir

En voilà un qui n’a pas d’autre rôle que d’être le reflet de l’existence. A lui seul il est le symbole de milliers d’années de supplice physique pour les uns, de remords pour les autres, et de cruauté glaciale pour tous. C’est dans ce regard torve, ce nez écrasé et ces lèvres trop charnues que vous observez chaque matin que vous observez votre propre déchéance. Quelle cruelle invention que ce miroir ! Aucune pitié, pas une once de charité pour notre image intérieure ou notre santé mentale. Non… Lui est monolithique, rigide, et se pare de notre reflet sans même prendre de précaution. Que de fois cet instantané peut être dur et même cruel…

Tenez, là ce matin, enfin un de ces matins ordinaires où l’on s’éveille vaseux, les paupières pesantes et l’haleine propre à détruire la couche d’ozone, vous le regardez, enfin plus précisément vous vous regardez et c’est l’horreur. Le cheveu a blanchi, la peau est pâle, le blanc oculaire tire vers le sanguin et le tout ressemble plus à une bavure policière qu’à un réveil délicat. Foutu miroir, tu ne prendras donc jamais de précautions pour nous jeter au visage notre âme ? Certains poètes (si je tenais ces imbéciles, je leur ferais passer le goût des vers alambiqués) se sont faits forts de revendiquer « le visage est le reflet de l’âme ». Sales cons sans gène ! Il suffit de se voir un instant dans le miroir pour constater avec horreur que la dite âme est un charnier et non un paradis !

Et puis là, on se lamente un instant, on se dit qu’après la douche tout ira mieux. Encore un mensonge que l’on s’enfonce dans le crâne histoire de ne pas déprimer de si bon matin. Vous savez, je crois que le côté rassurant des rites matinaux valent à eux seuls des tomes complets de psychiatrie appliquée : être bien présenté, se sentir « acceptable », paraître au lieu d’être… enfin là je digresse du sujet initial. On revient de sous le jet d’eau mais hélas, notre ennemi commun, ce miroir sadique reste de glace (si j’ose dire) et nous dit en substance : « t’auras beau faire, tu resteras le même ». Erreur : on empire avec l’âge paraît-il, alors là je pense qu’au fond de lui ce démon de verre s’amuse de notre inéluctable déchéance et se fait exact réplique de notre aspect. Salaud !

Et pourtant on l’utilise encore et encore : pour vérifier si le pantalon « tombe bien », si la coupe de cheveu est en place, si le chemisier si chèrement acquis n’est pas finalement un chiffon ridicule impossible à porter en société, bref il se fait contrôleur, guichet des formes et arbitre de notre présentation. On aura beau dire et faire, ce damné miroir sera toujours là, tapis dans l’ombre, ou plutôt caché en pleine lumière sur un mur, et n’agressera le passant qu’au pire moment, celui où justement l’on espère que le reflet soit clément. Allez demander de la pitié à un miroir vous. Vous avez des formes que vous trouvez excessives ? Il vous rassurera en affirmant sans conteste… que vous avez raison. Vous supposez que votre coiffeur est incapable ? Le miroir vous le validera avec force détails. « Savourez donc le moment précédant l’inspection » pourrait affirmer la psyché comme un sergent instructeur à ses bidasses… Vous n’y couperez pas.

Et puis finalement on voit un autre visage apparaître, celui que vous trouvez toujours beau malgré les années et les rides qui s’installent. Vous l’admirez et trouvez qu’il embellit le miroir. C’est cet être cher qui devient névrosé à force de vouloir vous plaire… Alors que c’est au miroir qu’il veut être doux !

Oubliez donc votre image, pensez à celui qui vous aime tel que vous êtes !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

A la mort de Narcisse, le miroir fut triste, car il ne pouvait plus se mirer dans le reflet des yeux de son propriétaire.