06 avril 2009

Incendie politique

On s’autorise tout et n’importe quoi de nos jours : à penser, à agir, à critiquer, et même, fin du fin, à se croire vivants. Dans le capharnaüm des idées plus ou moins claires, et surtout quelque part entre le droit d’expression et l’interdiction de détruire, les manifestations « alter mondialistes » se sont vues émaillées d’émeutes et autres incendies criminels. Hé oui, l’expression orale, la revendication par l’écrit, tous ces moyens d’être présents sur la scène politique sont devenus vains, et du cocktail de bar branché on est passés au cocktail molotov. Etrange évolution de la manière de faire preuve d’intelligence politique, non ? Que penser du fait de brûler un ancien bâtiment des douanes ? Symbole de l’ère révolu des frontières surveillées, est-ce donc tant l’union des nations ou bien le besoin d’un retour à la désunion qui ont incités les vandales à le mettre en cendres ?

J’aime que l’on m’explique les choses, notamment quand celles-ci dépassent mon entendement. Que l’on critique le retour de la France (partiel qui plus est) dans l’OTAN, je le conçois assez bien. En effet, difficile de revenir à une conception de la défense centrée sur les exhibitions américaines, mais pour autant peut-on se passer d’être unis avec le reste du monde ? J’imagine donc bien que d’un côté l’on refuse une part active dans l’OTAN, rien que pour s’éviter les retours de flammes en cas d’intervention armée à l’étranger, mais a contrario fuir l’OTAN, c’est fuir la possibilité de radicalement réduire nos effectifs militaires ! Paradoxal ? Pas tant que cela... Tenez, je vous fait un petit schéma de ma vision des choses : si nous sommes tous dans l’OTAN de manière sérieuse, si demain nos voisins ne nous aiment pas (et qu’ils adhèrent), ils devront craindre l’organisation qui les chapeaute, car, dans ces accords, il y a quelque part la garantie de protection mutuelle concernant l’intégrité de nos territoires respectifs. De fait, ne pas être OTAN c’est se refuser le luxe de désarmer en comptant que tous unis on a plus de fusils que celui tout seul mais surarmé. Enfin bon, là c’est à l’échelle européenne car les USA se moquent de ce genre de considérations.

Second point et non des moindres. L’alter mondialisme c’est quoi ? Les déçus de l’économie de marché ? Les anars en manque de repères forts ? Les post communistes privés de l’étoile rouge ? J’y perds mon latin tant la cohorte des bordéliques défilant sans bannière dans les rues de Strasbourg m’inquiète. Je sais qu’il est tout aussi inquiétant de voir des foules converger vers un idéal unique (et souvent radical), mais là est-ce mieux ? Les discours sont aussi multiples que chroniquement peu construits. D’un côté on pleure contre la délocalisation qui « tue l’industrie française », dans la foulée un écolo se plaint « de la pollution du monde », et un troisième trouve scandaleux « qu’il existe une organisation militaire à l’échelle du monde ». Tous sont dans la même société de consommation, tous communient dans le rejet des institutions. Je comprends le chômeur licencié par un grand groupe qui délocalise pour faire des bénéfices... je comprends encore une fois celui qui trouve que nous serions avisés de protéger la planète, tout comme je saisis le cœur de la problématique du pacifiste... Mais cela mène à quoi de refuser que les instances mondiales se réunissent pour trouver une solution en commun ? Que les problèmes du monde soient traités par un nombre encore plus restreint de personnes, et qui plus est qui ne tiendront compte que de leurs intérêts. Récemment le Brésil fut convié à intervenir dans les réunions du G20 parce ce que, en temps que pays émergeant, cette nation pouvait exprimer des idées novatrices sur la façon d’envisager le marché pour les « petits pays ». Si l’on est tenus de raisonner à l’échelle du monde, alors autant faire se réunir ceux qui tirent les ficelles, non ?

C’est affligeant. Bien des gens revendiquent un passé de « 1968 » en fantasmant sur les changements notables dans la société. Je tiens à rappeler que, si l’élan fut admirable à l’époque il n’est plus, aujourd’hui, qu’un vague cliché pour signaler que la rue peut râler avec virulence. Mais pour quel progrès ? Combien d’années avant l’avortement ? Combien d’années avant l’amélioration des statuts de la femme, de l’immigrant, la mise en œuvre d’un vrai système social, ou encore d’une reconnaissance de bien des problématiques telles que le handicap ou la maladie ? Qu’on ne se voile pas la face : un nouveau mai 68 n’aura certainement pas lieu, surtout pas dans une société pétrie à base d’individualisme et de consumérisme forcené. Il est essentiel de différencier une ère faisant suite à la guerre et sclérosée dans ses clichés datant d’avant guerre, et une société qui a progressé, mais non vers une unité intellectuelle mais surtout, et avant tout, vers une ère de besoin solitaire. Je vais caricaturer le portrait, mais le web, qu’est-ce donc que de l’individualité physique (un par foyer) se connectant pour se donner l’illusion de l’unité ? Qu’est-ce donc que ce besoin de modernisme à outrance si ce n’est l’envie frénétique d’être reconnu par autrui ? Nos enfants seront sûrement plus efficaces à reconnaître une marque de haute technologie que nos parents l’ont été, et m’est avis qu’ils auront plus de compétence pour choisir leur nouvelle console de jeu que de préparer un repas sans four à micro ondes...

Les « émeutes » démontrent avant tout la décadence de la communication. Incendier des bâtiments, c’est offrir aux politiques un terreau fertile pour semer les graines de la répression. Tout comme pendant les crises en banlieue où les jeunes furent pointés du doigt, celles et ceux qui, maintenant, demandent un changement plus respectueux de l’homme se voient mentionnés comme portant la cagoule et lapidant les forces de l’ordre. De ce fait, être réactionnaire deviendra donc non pas un acte de révolte civique contre un état de fait cynique, mais un acte de terrorisme contre la tranquillité du muet de base. L’urne est aujourd’hui désespérément uniforme car quelque soit la couleur politique choisie, la sortie sera la même : économie d’échelle, précarité sociale, et au final... celui destitué par les votes pourra alors reprocher à ses successeurs de faire les mêmes bourdes que lui. Ironique, vous ne trouvez pas ?

L’avenir me paraît inquiétant concernant la nébuleuse des penseurs alternatifs. Tous se verront, tôt ou tard, étiquetés comme étant profondément rétrogrades, nombre d’entres eux vont se radicaliser, et, si les grands décideurs ne font rien pour redresser le navire chancelant, m’est avis qu’une nouvelle génération de « action directe » verra le jour. D’ailleurs c’est terrifiant : un nombre sans cesse plus grand d’adolescents et jeunes adultes adorent et adulent les Mesrine et autres Ménigon. Certaines banlieues voient réapparaître les étoiles rouges. C’est donc le signe évident d’une rupture de communication ainsi que le symptôme d’une incapacité majeure de chacun à trouver un terrain où discuter calmement. Pourquoi les petits partis ne font-ils pas acte de présence partout où c’est possible ? Besancenot suffit-il comme représentant d’une autre façon de voir les choses ?

Mettre le feu gratuitement ne peut pas fédérer, pas plus qu’une exécution sommaire comme celle de George Besse en son temps. Le peuple, si l’on veut s’octroyer ses sympathies, demande la paix, pas la guerre civile. C’est d’ailleurs pour cela que nombre d’autocraties et autres dictatures perdurèrent : parce qu’elles surent garantir la sécurité aux foules (au détriment des libertés individuelles, bien entendu).

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