25 septembre 2009

Emotions

L’émotion s’acoquine facilement avec n’importe quoi. Qu’elle soit de situation, de lieu ou de cliché, elle est si mobile et polymorphe qu’elle en devient indéfinissable. Au quotidien, le terme émouvant peut alors émerger sous énormément de formes : une peinture qui nous marque, une situation de la vie qui s’imprime à jamais, ou encore une émission télévisée qui, pour une fois, fait passer un message fort. J’aime à penser que l’émotion se doit de ne pas être mise en équation justement parce qu’elle revendique toute la richesse et la complexité de la nature humaine.

Nous faisons passer, mine de rien, énormément de choses par le regard : la vue d’une personne que l’on aime, ou bien le choc d’un cliché difficile, l’œil est l’outil primaire de la perception. D’ailleurs, on peut noter que lorsque ce sens manque à l’appel, les autres sens surcompensent de sorte à offrir à l’être humain une appréhension suffisante du monde qui l’entoure. Alors voir, serait-ce ressentir ? Pas totalement je crois, chacun embarquant un bagage culturel et social très différent. Prenons l’exemple le plus commun et qui peut tourner à l’étonnant : l’art. La peinture, la photographie, le dessin, ou encore la sculpture, nous percevons ces arts par la vue, et l’identifions chacun à notre manière. L’amateur d’histoire aura une réaction à une toile très descriptive d’une bataille, ce qui ne saura que laisser perplexe celui que l’amateur qualifierait de béotien. A contrario, ce même néophyte sera saisi par la beauté d’un nu (sans vulgarité), épaté par le mouvement d’une œuvre représentant la mer, alors que notre fanatique d’histoire, lui, traitera avec un peu de mépris et de condescendance ces gribouillages. Tout est affaire de perception et de réceptivité. Là où cela devient particulièrement fou, c’est sur le traitement que nous réservons à l’art moderne. Cubisme, déstructuration des codes picturaux, fauvisme et j’en passe, d’une personne à l’autre passent des choses allant de la perplexité à l’exaltation. Génie ? Pour les uns assurément, escroc pour les autres.

La larme qui se forme au coin de l’œil quand l’enfant naît, la même larme amère qui coule aux obsèques d’un proche, nous analysons encore l’émotion en fonction de nos sentiments personnels. Quand un être arrive ou quitte ce monde, quand deux êtres s’unissent pour un mariage, tout l’entourage bâti comme un patchwork de personnalité réagit avec énormément de disparités. Mettez en terre un homme, les uns pleureront l’ami, le père ou le frère disparu, et certains seront presque heureux de voir partir quelqu’un qu’ils qualifiaient de « salaud ». La moralité y est en plus étrangère ! Nous ne faisons pas entrer en ligne de compte la morale dans notre perception des émotions et des chocs, c’est avant tout la notion d’implication qui est primordiale. Avez-vous déjà été présent à un mariage de personnes qui vous sont inconnues ? Avez-vous représenté votre famille à des funérailles ? Si oui, vous comprendrez alors aisément le détachement que l’on peut mettre lors de ces deux cérémonies, et ce n’est pas immoral de ne pas pleurer ou ne pas se réjouir avec épanchement lacrymal pour des gens qui nous sont des inconnus. Pas impliqués, pas émus je dirais.

Pourtant, et c’est là que l’émotion devient tordue et invraisemblable de richesse, c’est que des évènements qui ne nous sont pas directement reliés arrivent tout de même à nous émouvoir. J’ai été parfois saisi par l’authentique détresse d’autrui, ému aux larmes par le courage et l’abnégation, et surtout j’admets sans honte réagir à la richesse de cœurs des anonymes. Certains rares documentaires savent présenter sans fard l’authentique héroïsme. J’ai été saisi à la gorge par les mots simples des pompiers rescapés du 11 Septembre, j’ai senti la larme naître à l’évocation sincère et chaleureuse de leurs collègues défunts. Il y avait une telle puissance dans ces regards qu’il me fut impossible de rester stoïque. Que l’on soit « satisfait » de ce terrorisme aveugle ne me choque guère de la part de l’Homme, mais rester insensible à cette légitime détresse silencieuse, ça, j’ai du mal à le concevoir. Je ne crains pas de piétiner l’homme dans toute son horreur, je crains de blesser celui ou celle qui aura su s’élever au-dessus de ces considérations lâches et futiles.

Et puis, l’émotion ne s’exprime pas que par les larmes. Elle sait être rire, tendresses, plaisirs charnels, écrits de qualité… Les arts sont une expression de l’émotion. Qu’est-ce qui nous fait réagir aux mimiques du clown ? C’est le fait qu’elles retranscrivent des émotions humaines. Qu’est-ce que le vrai comique ? Savoir rendre drôle une situation forte. Nous ne sommes pas faits que de chair et de sang, nous ne sommes pas uniquement un bétail prêt à être abattu au premier bon vouloir d’un psychopathe quelconque. Nous savons, nous tentons péniblement de réfléchir à notre condition d’être supposé pensant, et enfin nous progressons, tant bien que mal, dans l’espoir d’être meilleurs à la fin. La Fin ? La Mort ? Elle seule sait se rappeler à notre bon souvenir, car tôt ou tard elle nous emmène par la main (ou par les pieds pour les plus têtus) vers une éternité certaine. Alors, quitte à partir, autant le faire en beauté, en ayant vécu, et vivre, c’est ressentir. Emu ? Parfois. Heureux ? On essaye. Vivant ? Probablement. Cynique ? Ca dépend pour quoi… Je trinque à ma prochaine émotion !

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