23 septembre 2009

Le juron et sa sœur insulte.

Nous avons tous nos moments de faiblesse, notre instant de relâchement où, par l’entremise de nos reliquats cérébraux d’animal sauvage, viennent alors à réapparaître des mots généralement proscrits du langage courant. Les « Merde ! », « Bordel ! » et j’en passe des plus fleuris et moins présentables viennent alors enjoliver notre belle expression orale. C’est inévitable : tout être humain normalement constitué (donc si possible non né avec un manche à balai enfiché dans le fondement et remontant jusqu’aux cervicales) doit, tôt ou tard, pousser son juron salvateur.

Une étude récente (et à mon sens stupide tant c’est une évidence) tend à démontrer que le juron a pour vertu de relâcher la pression nerveuse, et en plus d’évacuer l’énergie engendrée par la colère. Comme si le juron était lâché dans la nature par pure envie d’être vulgaire ! Encore de chouettes statisticiens qui ont dépensés le budget de leur étude en pizzas et bières éventées, puis qui ont cherchés une excuse pour leurs travers financiers… Enfin bref, c’est pourtant évident : nous beuglons pour nous défaire de notre frustration ou de notre colère. Ah, qu’il est bon d’insulter la machine récalcitrante, de vociférer contre le demeuré qui n’a visiblement pas compris que le code de la route s’applique à tous, ou encore d’insulter copieusement ce coin de meuble assassin où vient immanquablement s’écraser le petit doigt !

Ce qui est étonnant, c’est que le juron est une façon détournée de se rebeller contre des choses essentielles comme Dieu, la loi, ou le Roi. Hé oui : « Nom de Dieu » est du juron blasphématoire, alors que « Non de non ! » est un juron pour contourner la réponse. Les circonlocutions françaises, que j’aime vous voir mises en œuvre ! Nous avons donc un art consommé d’être malséants, tout en étant acceptables. Tenez, le « merde » peut être pris pour une remarque scatophile, alors qu’elle est, maintenant, associée à une saute d’humeur. Nous avons donc beau jeu de trouver les autres malpolis, puisque nous en faisons autant, et avec hypocrisie qui plus est.

Le juron, tout comme l’insulte, se prête fort bien à la composition florale. Les poètes, l’homme de la rue, la mère de famille épuisée par ses chiards braillards et intenables, chacun y va de son embellissement personnel. « Bordel à cul de nom d’une pipe, fais suer cette merde ! », ou encore « Foutre Dieu de connerie de chiure de saloperie de merde ! sont tout aussi utilisables, et modulables à l’envi. Imagination, telle est le maître mot de notre belle langue, et nous n’avons toujours pas taries les sources que sont les bistrots, les émissions télévisées ras de plafond, ou encore les conversations anodines des squatteurs de cage d’escalier.

Et puis, c’est si bon de tirer à boulets rouges sur quelque chose qui ne répondra pas ! Je parlais du conducteur dans son tacot qui couine à tout rompre. Vous remarquerez qu’il le fait pour lui-même, pour le principe et rien d’autre, puisqu’il agit fenêtres fermées, ou sur une voiture déjà fort éloignée ! C’est de l’exutoire, du sac de frappe auditif, parce que la vie est frustrante, parce que les gens sont cons, et que ça fait du bien de le dire, quant bien même l’on ne peut rien y changer. Réflexe d’autosatisfaction ? Probablement : nous avons besoin de nous contenter, même si ce n’est que très temporairement. Il ne faut pas bouder les petits plaisirs paraît-il…

Et enfin, je me demande ce que serait le monde si tout le monde naissait avec ce ton pédant et cette attitude suffisante qui sied si bien aux enrichis trop vite. « Il suffit ! » qu’il lance, le bourgeois péteux et surtout arrogant. « Mais ta gueule du con ! T’as envie que je te ravale la tronche à coup de pelle ? » Là, ça a de la gueule ! Ce n’est pas, vous vous en doutez bien, une remarque cinglante sur une potentielle association d’idée entre le précieux et l’homosexualité latente (et supposée) de notre imbécile dont il s’agit. Aucune homophobie dans le fait de qualifier de « burnée » l’expression précédente, mais, quoi qu’on me dise, je préfère un truc qui ait une bonne tête, bien décorée, quitte à en être vulgaire. « Tu me casses les couilles ! » c’est plus drôle qu’un « tu me fatigues » mollasson.

Et merde ! j’ai écrit ce que nul n’ose même penser !

(Parti se payer un fou rire loin des locaux de son travail)

Aucun commentaire: