24 septembre 2009

Machine sociale et humaine

Quand je regarde l’humanité, j’ai l’impression de voir une immense mécanique dont les rouages me dépassent. Tel un archéologue qui découvrirait une technologie inconnue, j’ai souvent la sensation d’observer des mouvements incompréhensibles et mêmes inquiétants. Chuintante, grinçante, chaotique, l’humanité m’apparaît alors dangereuse et obscure, un monstre menaçant s’apprêtant peut-être à me bondir dessus, ou à me fuir sans aucune raison apparente.

Nous affirmons, à l’aune des progrès technologiques et sociaux, que l’humanité progresse et s’améliore au fil des générations. Que ce soit la prétendue disparition de l’esclavage, l’amélioration de la condition de la femme, ou encore le travail des enfants, nous mettons en avant notre société comme étant « relativement exemplaire sur le traitement équitable de tous ». L’aveuglement de la machine humaine est ahurissant : depuis quand l’égalité existe-t-elle ? Nombre de nations réduisent à l’état d’esclaves de très jeunes enfants, et d’autres n’hésitent pas à consommer le produit de ce travail indigne. L’indigène, l’étranger ne concerne pas le quidam, tant que celui-ci reste dans sa mine, dans son usine ou son bateau insalubre. L’Homme se fout des considérations telles qu’humanisme, morale ou de quoi que ce soit d’autre que lui-même, c’est son nombril qui représente le centre de son monde.

Progrès. Qu’est-ce que le progrès ? Celui de pouvoir changer de chaîne quand l’on communique un peu sur le malheur des autres ? Maintenant que le chômage, et potentiellement la famine et le désespoir peuvent toucher n’importe quel foyer dans les pays riches, il est impressionnant d’observer que la machine Humanité reprend des directions que l’on croyait à jamais condamnées : nationalisme, fondamentalisme religieux, et même les pires des fascismes. Les Allemands tremblent à cause de la montée inexorable du NPD en Saxe, l’Autriche n’a pas hésité à élire un représentant d’extrême droite, et le durcissement général des politiques nationales n’est plus taillé en brèche par les moralisateurs de tout poil. Lorsque le monstre humain a faim, et que ses vassaux ne peuvent plus le fournir en chair fraîche, alors la bête dévorera son voisin sans aucun scrupule. Comment comprendre que l’on se réfugie dans des valeurs aussi puantes que la dictature ? Comment saisir le désespoir qui peut pousser à se tourner vers les augures d’un malade en bure ? Pourtant, on ne parle pas d’adeptes décérébrés, mais de gens cultivés, instruits, qui connaissent probablement la différence entre le bien et le mal ! Pourquoi ?

Je suis d’autant plus sidéré que bien des pays ayant subi les horreurs des guerres successives continuent, aujourd’hui encore, à prôner le massacre, le génocide et l’usage des armes. Pourtant les cimetières, les ruines et les mutilés devraient suffire à mettre en doute ce genre de politique. Visiblement, non, puisque l’on continue à mettre au pouvoir des fous, des criminels en puissance, des gens qui pointent du doigt la différence en vociférant qu’il faut l’éradiquer. Nous avons tous vus un jour les images des abominations nazies… Alors comment peut-on comprendre le vote fasciste ? La mécanique folle qu’est l’humanité n’hésite donc pas à reculer, et foncer à nouveau sur les voies les plus sordides.

J’ai abordé très rapidement la situation de la femme. N’est-il pas étonnant que certaines aillent s’affubler de carcans tels que le tchador ou la burqa ? Est-ce seulement la pression familiale qui suffit à expliquer cela, ou bien y a-t-il à y voir une forme de revendication identitaire ? Le débat s’est posé et se pose encore, d’autant plus qu’il me semble difficilement tolérable de voir la condition de la femme revenir à des périodes d’obscurantisme et de machisme incontrôlé. L’image de la femme qui est véhiculée est celle soit du mannequin à la plastique sans défaut, mais au discours consumériste dépourvu de réflexion, ou bien celle de soumise déshumanisé colportée par la musique ou encore les séries télévisées. C’est à se demander si nous sommes suffisamment intelligents pour comprendre que c’est la meilleure manière pour rendre nos descendants stupides et incapables de se respecter mutuellement. La place de chacun ? Il n’y a pas de place prédéfinie, à chacun de s’en faire une.

Je suis vraiment inquiet par la tournure des évènements. La violence s’est tellement banalisée que l’on traite un homicide comme un simple fait divers, qu’un viol au cinéma n’a plus rien de sulfureux, ou encore que la diffusion en boucle d’une bombe humaine se faisant sauter en Irak puisse apparaître comme ordinaire. La machine humaine s’emballe, la locomotive nous tire vers la destruction de nos chances de paix. Quoi qu’en pensent les analystes, ce n’est pas le populisme à Obama, pas plus que le dirigisme à la Sarkozy qui saura nous tirer d’affaire. Ce qui saurait nous préserver d’un conflit mondial, ce serait que chacun daigne s’asseoir à la même table, discuter en mettant de côté les rivalités et les colères du passé. Seulement, le voisin de table est toujours « l’ennemi », il reste une menace, et on le traite comme tel. J’admire, avec cynisme et ironie, les mouvements diplomatiques tels que ceux ayant joués durant l’élection du directeur de l’UNESCO. Fabuleux de non sens, de soutiens malsains et de manipulations d’opinion. Il n’est, à ce jour, même pas concevable de mettre d’accord toutes les nations. La crise financière a régulé les relations bancaires, pas les relations diplomatiques, loin de là. Ceux qui sortent la tête de l’eau seront ceux qui tireront les bénéfices du retour en grâce de la finance, tout comme il est évident que les autres en souffriront des années durant. Rien n’a changé, et ce n’est pas prêt de progresser. La guerre est visiblement redevenue une valeur sûre : des pays se réarment, d’autres cherchent à tout prix à s’équiper de la bombe, et les budgets militaires sont croissants. Un coup de sang pour rafraîchir l’humanité… A croire que la bête est assoiffée et qu’elle demande son tribut de mort et de souffrance. Espérons simplement que cela ne sera pas le suicide de l’humanité.

Quoi qu’il en soit, il est surprenant que l’Europe soit restée en paix aussi longtemps. Bon sens politique ? Pas du tout, et regardons avec honnêteté : nous projetons la guerre hors de nos frontières, nous la menons sur le front économique, mais aussi sur le territoire d’autrui. Guerre d’influences, de présence stratégique, et de bras de levier diplomatique. A quand une implosion de cette façon de faire ? La Russie se débat pour remonter la pente du naufrage, la Chine subira, tôt ou tard, le contrecoup de son expansion incontrôlée, tout comme l’Inde qui n’a, pour l’heure, pas encore réglée son problème de surpopulation. N’oublions pas les fondamentaux : la bête doit se nourrir, se chauffer et se loger. La Chine n’est pas indépendante pour l’énergie, tout comme nous dépendons du pétrole. N’hésitons à le dire : si nous ne trouvons pas très vite une solution de repli technologique pour faire disparaître le sacro saint pétrole, c’est sur cette base que nous enverrons des troupes protéger nos intérêts énergétiques… jusqu’au moment d’une escalade amenant le conflit sur le territoire et non à l’étranger. Qui pourra alors calmer une telle gabegie ? Nous agissons en aveugle, égoïstement inquiets de notre quotidien et non du lendemain. On m’a souvent représentée l’humanité comme une mécanique précise… Pour moi elle demeure obscure, inquiétante… et folle. Priez pour nous, pauvres pécheurs.

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