29 octobre 2009

Donner une âme

C’est un des plus vieux fantasmes de l’humanité : associer une âme à des objets inertes, ou encore « créer » la vie en fabriquant de toute pièce. Aussi saugrenue que puissent apparaître ces idées, il n’en demeure néanmoins pas irréaliste de croire que l’homme puisse parvenir un jour à un résultat. Entre manipulations génétiques menant au clonage, et l’apparition de technologies miniaturisées pour le remplacement d’organes (avec, à terme, l’idée de pouvoir avoir une réserve d’organes de synthèse), il ne me semble pas si incohérent que cela de « réparer » la vie, voire même créer une nouvelle espèce humaine intégralement de synthèse, où le corps serait un réceptacle. Qu’est-ce qui définit l’être humain ? Son physique ou son « âme » ? La métaphysique est alors une partie intégrante du débat, avec tous les doutes et les problèmes éthiques qui s’en suivent. Alors, laissez moi vous conter une petite histoire, une de celles que j’aime à écrire quand l’actualité me semble inintéressante.

Tout a commencé quand j’ai eu mon accident. J’avais fait une mauvaise chute en bricolant, et m’étais fracturé le bras. Jusque là, rien de bien dramatique, si ce n’est qu’en arrivant à l’hôpital, il s’est avéré que la fracture était complexe et qu’elle nécessitait une chirurgie. Je m’étais dit que tout cela était maîtrisé et connu, et qu’en quelques semaines je pourrais retourner travailler. Ce fut effectivement une réussite, avec une jolie cicatrice et un pansement. Seulement, réfractaire aux soins et pressé de reprendre mon métier, je n’ai pas été prudent, et rapidement ce qui aurait dû être une formalité devint un calvaire : infection, médicaments, surinfection, retour sur la table, et finalement apparition d’une gangrène. Ce fut douloureux et long, et le staphylocoque doré s’en était mêlé. Résultat des courses : amputation probable. Le drame ! J’allais perdre l’avant bras à cause de mon manque de patience et mes bêtises.

On m’annonça qu’il y avait une solution toute récente et incroyable consistant en la reconstruction par prothèse. Je me voyais déjà avec un bras de mannequin de supermarché, et des doigts inutilisables. Ce fut tout le contraire. On me présenta des équipements ultra modernes, utilisant les derniers progrès des technologies, et le tout utilisant de la peau de culture. C’était bluffant. Qu’avais-je donc à perdre ? On allait me couper l’avant bras de toute manière, alors autant tenter le coup ! Ce fut alors le cirque des papiers, des explications techniques, des rendez-vous avec le psy pour me préparer au changement. J’en eus rapidement assez de me faire explorer la tête par crainte des toubibs que je fasse un rejet de la prothèse. Ce n’était pas eux qui allaient y laisser la main !

La chirurgie dura quasiment dix heures. Je dormis comme un loir, et l’on ôta mon avant-bras pour poser le nouveau. Au réveil, je me sentis nauséeux et me souviens juste m’être frotté les yeux … avec mes deux mains. Ce fut incroyable. La seule chose qui me fit remarquer que j’avais été opéré fut le pansement noué à hauteur de la jonction entre la prothèse et mon corps naturel. Très rapidement je m’appropriai le membre, et les spécialistes ne procédèrent qu’à quelques réglages anodins. J’étais câblé, réparé, et tout ceci me semblait être un miracle.

Je ne fus pas exposé comme un animal de cirque. C’était devenu si commun que je sortis de l’hôpital au bout de deux semaines, et repris le boulot au bout d’un mois. La cicatrice s’estompa tellement qu’il me fallut être attentif et minutieux pour la retrouver sur ma peau. J’étais sauvé ! Quel miracle ! Seulement voilà, à moi on donna une nouvelle chance, à d’autres on augmenta la puissance et l’efficacité : membres plus efficaces, vision améliorée, audition filtrée et même pouvant être désactivée pour les environnements bruyants. « Les augmentés » apparurent en masse, et ce fut alors un débat sans fin entre l’humanité ordinaire et l’humanité trafiquée. Les premiers à être réellement poussés à l’extrême furent des troupes d’élite, puis ensuite des ouvriers pour les zones radioactives. Ainsi, le chantier de Tchernobyl put enfin être envisagé grâce à des « hommes » mécanisés.

Nombre de scandales éclatèrent. Des entreprises exigeant de leurs employés de se « booster », des métiers inaccessibles sans augmentation technologique, ce fut sans fin et les tribunaux croulèrent sous les dossiers. C’est le jour où un type riche, après un grave accident de voiture, se fit intégralement reconstruire qu’a éclaté le vrai débat : homme ou machine ? La justice ne pouvait décemment pas trancher, pas plus que les médecins qui, eux, appliquaient Hippocrate dans l’idée de sauver des vies. Seulement, les salles d’opération devenaient rentables avec ces méthodes, suffisamment en tout cas pour que l’industrie de l’augmentation physique soit plus rentable que la chirurgie esthétique. Quelle était la nouvelle limite ? Dans l’absolu, si le corps devenait totalement remplaçable, la notion de vieillesse n’avait plus cours, pas plus que l’idée même de la mort. Quel avenir ? Quel destin pour les gens ordinaires, soit trop pauvres soit trop respectueux de l’essence même du corps ?

La question ne se pose plus vraiment à présent. Après la grande guerre, et les champs de bataille cybernétiques, l’humanité s’est repliée sur elle-même avec la résurgence des religions, et les discours réfractaires aux technologies redevinrent courants. Je suis obligé de cacher que j’ai été réparé mécaniquement. Certains états ont même imposé le recours aux listes des hôpitaux pour « revenir aux fondamentaux », euphémisme utilisé pour le démontage systématique des prothèses. Ces nations autorisent quand même l’usage de la reconstruction biologique, c'est-à-dire de « faire pousser », si possible, les parties endommagées. Ce n’est pas aussi concluant que cela, mais les gens se sentent plus en sécurité avec des gens de chair et d’os, qu’avec des « hommes » dont seul et la moelle épinière sont naturels, et dont les membres peuvent sans difficulté permettre de soulever une voiture ou détruire un mur d’un coup de poing.

2 commentaires:

Thoraval a dit…

Fiction ou réalité ton histoire de reconstruction du bras?

JeFaisPeurALaFoule a dit…

On y est presque...