20 octobre 2009

Sensibilité numérique

Je n’ai guère d’attrait pour la folie qui s’empare souvent des amateurs de technologies. A les écouter, on pourrait croire que chaque nouveau produit qui sort est une petite révolution, or il me semble que bien des choses sont encore à l’âge de pierre. Ainsi, nos voitures ne volent toujours pas, brûlent de l’énergie fossile, nous lisons encore des livres au format papier (comme depuis bien des siècles), ou encore nous utilisons le téléphone comme nos arrières grands parents. Quoi qu’il en soit, je ne suis donc pas épaté ni en extase face à ces développements certes impressionnants, mais pas pour autant révolutionnaires. Pourtant, ce week-end, je suis resté coi, silencieux et ému grâce à la technologie…

Je ne suis pas technophobe, loin de là même puisque je communique avec vous à travers le réseau. Ce qui me dérange plus, c’est le côté invasif des technologies : Face de bouc et l’obsession exhibitionniste qui en découle, le mobile et sa géo localisation, ou encore les caméras qui suivent et épient le moindre de nos pas. Là, pour une fois, l’électronique de pointe et l’informatique nous offrent des miracles émouvants. J’ai pu voir, en effet, l’écographie en trois dimensions de ma future nièce. Milana, de son prénom, était là, apparaissant sous le scanner électronique du gynécologue. C’est épatant, incroyable, de la voir tirer la langue, bouger ses mains, et de se dire que cet être va rejoindre le monde d’ici quelques semaines. Je serai donc tonton pour le nouvel an, ou guère peu de temps après, et j’ai pu la voir, dans ce cocon, grandir et préparer son futur d’humain comme les autres.

C’est incroyable : nous dépensons des fortunes en pures pertes, tout cela pour cautionner notre paranoïa. L’ennemi, quel qu’il soit, se doit d’être surveillé, traqué et écouté, alors que là, sous notre nez, nous avons des besoins et des progrès qui seraient tout aussi utiles, si ce n’est plus. Quoi de plus utile qu’une écographie pour anticiper des problèmes de grossesse, des analyses pointues et rapides pour soigner rapidement des maladies, ou encore des dispositifs permettant une imagerie intégrale et détecter efficacement d’éventuels cancers ? Sous sommes à l’ère de l’électronique embarquée en voiture, et à l’âge de pierre chez les médecins : palpations, observations, écoute stéthoscopique, n’est-ce pas un drame que nos médecins ne soient pas équipés de nos innovations ? Le diagnostic est la première étape pour identifier le bon traitement, et pourtant l’on réserve les budgets à l’étude du missile intelligent, au lieu de le consacrer à la mise au point d’appareils IRM moins encombrants et moins coûteux à construire.

Le monde se divisera de plus en plus en deux catégories : ceux qui peuvent se soigner, et les autres. L’accès aux soins est, même dans les nations riches, un vrai problème de santé publique. Entre celui qui peut s’offrir les meilleurs traitements, qui peut accéder aux appareils modernes d’imagerie médicale, et les autres, il y a un fossé qui ne cesse de se creuser. Trop de personnes comptaient sur la sécurité sociale pour financer, et dorénavant nous comptons sur les mutuelles privées pour pallier au naufrage du système. Est-ce donc là où nous devons aller ? Une santé à deux vitesses ? Le fait que les USA veuillent se doter d’un système de santé public n’est pas une décision anodine, c’est qu’elle répond à un vrai besoin d’encadrement de la santé par l’état. Je crois que l’innovation doit malheureusement passer par l’état de manière à nous éviter de devenir prisonniers des grands laboratoires ou des réseaux de santé privés. Je crains que la santé ne devienne rien de plus qu’une sorte de système de franchises, à l’instar des chaînes de restaurants par exemple.

Les progrès techniques sont nombreux, mais tous deviennent des propriétés intellectuelles, ceci afin de protéger les investissements initiaux. Je comprends que l’on puisse espérer gagner de l’argent après en avoir investi, mais est-ce que la préservation de la vie humaine ne mériterait pas que l’on crée un concept de « licence pour le bien de l’humanité » ? L’humanité se doit de profiter, à bas coût, des améliorations de la science. La recherche ne doit en aucun cas profiter qu’à une portion congrue de la population, et faire envie à la majorité. La plupart des médicaments efficaces ont pris des années de conception, mais peuvent être produits en masse pour que quelques centimes, or les laboratoires maintiennent des tarifs intolérables. Ainsi, nous excluons l’Afrique des méthodes de trithérapies contre le SIDA, nous les empêchons d’acheter des médicaments pourtant éprouvés contre le paludisme, et nous maintenons des situations sanitaires honteuses partout dans le monde.

Milana, des mouvements de bras et tes yeux clos m’ont ému. J’ai vu la vie, celle à venir, celle qui existe déjà dans cette ambiguïté qu’est la matrice. Quand es tu née ? Le jour où tu sortira de ta mère, ou bien le jour où la magie des cellules s’est décidée à de fabriquer ? La philosophie a sa place sur cet écran qui affiche tes petits pieds, qui dessine ton relief, et qui décrit les courbes de ta tête. Ma jolie nièce, à bientôt, j’espère que toi, contrairement à trop de gens aujourd’hui, tu pourras profiter du monde, et que tu auras un sourire amusé de cette vue du passé en te disant « Aujourd’hui, c’est fini : nous vivons heureux, en paix, et en harmonie ».

Grosses bises Milana !

Aucun commentaire: