12 novembre 2009

Désert et errance

J’aimerais un jour savoir pourquoi j’ai plus de facilités à décrire des scènes de malheur que des scènes simples et tendres. J’éprouve une grosse curiosité concernant l’histoire, et j’apprécie de pouvoir la décrire avec mes propres mots, quitte à créer des situations qui n’ont jamais existées. A ce jeu, les écrivains peuvent tout aussi bien rendre la situation crédible qu’improbable, et c’est là tout l’art de la plume que de restituer quelque chose d’acceptable. Il n’est nul besoin d’avoir vécu une bataille, une révolution ou une prise de pouvoir pour s’autoriser d’en restituer toute la dramatique, en tout cas j’espère qu’aucun lecteur ne me blâmera pour ce choix. C’est ainsi, qu’une fois de plus, je vais me fendre d’une situation inventée qui, espérons le, saura vous emmener là où je suis au moment où je rédige cet article.

Ils avaient errés, des semaines durant, dans le grand désert. Tous étaient épuisés, hagards, le teint hâlé par la chaleur et la poussière. Derrière leurs masques de tissu, les visages étaient tendus et stricts, comme marqués à jamais par l’intensité de leur lutte pour la survie. Ils s’étaient amaigris, certains étaient morts de soif, d’autres étaient devenus fous à cause de la température digne de l’enfer. Les survivants, eux, eurent le cœur et l’âme tannés par les éléments et l’absence de vie du grand désert. C’est ainsi que je vis pour la première fois ceux qu’on surnommait « la horde ». J’avais déjà entendu parler d’eux, en tout cas sous une forme légendaire. On les décrivait comme des combattants aguerris, impitoyables, vivants sur le terrain, et toujours prêts à lutter jusqu’au bout pour leur existence. Ils étaient dépeints comme de véritables lutteurs, forts, fiers et orgueilleux, mais jamais comme des méchants ou des pillards. Les peuples du grand désert parlaient d’eux avec crainte et respect, un peu comme ces fauves qui n’existent plus.

Juché sur un camion couleur safran, leur chef leva ses lunettes de protection, se dépoussiéra un peu, et fit signe à la horde de s’arrêter. Nous autres, sous nos tentes de fortune, nous restâmes figés par la peur, une peur animale irrépressible de nous savoir faibles faces à ces prédateurs. Il descendit lentement du véhicule, se dirigea vers nous, et demanda le chef de tribu. Le conseil des anciens accueillit l’étranger avec déférence, sûrement par crainte d’éventuelles représailles. Le soleil était très haut dans le ciel sans nuage, il faisait encore et encore cette sempiternelle chaleur sèche et mortelle. Ils se réunirent sous une tente, et discutèrent pendant longtemps. Nous autres, femmes et enfants, fûmes dirigés au loin de sorte à ne pas représenter une monnaie d’échange en cas d’attaque. Mais rien de tel ne se produisit. La nuit commençait à naître et le vent glacé à se lever quand les chefs de la tribu déclarèrent « Faites le grand feu, la horde passera la nuit avec nous ».

Il y eut des festivités, mais je sentis qu’elles étaient comme « obligées », chacun faisant l’effort de communiquer avec la tribu d’en face. Ils étaient tous fortement armés, protégés par tenues de plaques raccordées entre elles. Certaines combinaisons portaient les stigmates de combats, des impacts de balles et même des signes évidents de soudure. Balafrés, peau brûlée, c’étaient tout sauf des visages d’humains pacifiques et sereins. La plupart d’entres eux restèrent silencieux et ne burent que de l’eau. Les rares à boire de l’alcool se contentèrent que de maigres rations, comme s’ils se préparaient à quelque chose nécessitant d’être sobre. Ils tirèrent de leurs engins des caisses de conserves qu’ils échangèrent contre l’eau de l’oasis, donnèrent aux enfants des biscuits secs et quelques bonbons pourtant aussi rares et précieux que de l’or, et invitèrent les adultes à se nourrir à la même table. Nous étions une tribu pacifique, avec pour seules armes celles nécessaires à la chasse. Eux, je le sentis, étaient tendus et sur le pied de guerre. Au milieu du grand désert, il n’y avait plus, et ce depuis la grande bataille, aucune information diffusée par quelque média que ce soit. La radio, la télévision, tout ceci s’était perdu et nul n’en transportait plus avec lui. Nous ignorions donc ce qu’il pouvait se passer ailleurs.

La nuit était bien avancée quand un grand vacarme se fit entendre. Au loin, des moteurs vrombissaient, et l’on se doutait bien, à la réaction de la horde, qu’il n’y avait rien de bon dans ce son sinistre. Ils se levèrent, nous remercièrent poliment, ils serrèrent la main à tous et, sans un mot, ils retournèrent à leurs machines. Je vis le regard bleu délavé du chef, ses joues lardées de cicatrices, et sa brosse poivre et sel malgré son jeune âge. Il me frotta le crâne du plat de la main, sourit et adoucit ses yeux en me regardant, puis il grimpa sur son véhicule. Sans un mot, il leva la main droite, fit quelques mouvements de doigts, et la horde s’élança à toute vitesse à travers les dunes.

Je courrai. Dune après dune, je remontai la piste pour avoir de la hauteur et les voir dans le creux du désert. Au loin, les feux des engins éclairaient le relief, la colonne de poussière semblant être un nuage de lucioles. En face, une autre colonne fonçait sur eux, tout aussi déterminée. Puis ce fut la bataille, indescriptible, effrayante. Des explosions signaient la fin de nombreuses vies, des panaches de fumées marquaient des tombes éphémères pour des combattants inconnus. J’ignorais qui était leur ennemi, j’ignorais même pourquoi ils se battirent cette nuit là, mais, des années plus tard, alors que j’étais déjà devenu un homme, on me conta ma bataille, celle de la horde contre des pirates du désert. Les pirates, une bande de hors la loi, de pillards, de tueurs sans morale, arpentant le désert en quête de proies telles que notre campement. On dit que les pirates furent anéantis, et que nombre d’autres groupes furent ainsi éliminés, ceci permettant au commerce des caravanes de reprendre.

Dans ce monde dévasté par la grande guerre, dans ce désert né des bombes et de l’anéantissement de la vie, la horde représentait la légende, la survie, celle d’un petit groupe de gens convaincus que les faibles avaient une place dans le système. Etaient-ils payés ? Etaient-ils des soldats d’un gouvernement ayant survécu au désastre ? Ils n’étaient qu’une poignée de volontaires, d’hommes et de femmes ayant choisi leur camp, celui d’une justice terrestre, expéditive et droite. On ne sut jamais si la horde fut battue ou démantelée, mais tous furent des héros…

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