17 décembre 2009

Hiver

Regarder par la fenêtre m’a fait voir la neige telle qu’elle est réellement, et pas comme les enfants la voudrait. Elle n’est pas une source de jeux, elle n’est pas un amusement, elle est un intempérie, un outil cruel et dur au service de l’hiver. Croire que la neige n’est qu’un ami avec lequel on peut faire des boules, des bonhommes, et se réjouir d’un noël blanc n’est valide que pour les rêves de nos marmots, pas pour l’adulte qui se doit d’en connaître toute la puissance tranquille.

La neige, cet être étrange qui envahit tout, ralentit la vie et le monde des hommes, a cette traîtresse beauté qu’on peut associer à une gorgone. Visage somptueux, souffle léger, chute lente et inexorable, et pourtant sa morsure est mortelle. Nous autres, Européens, nous ne connaissons que temporairement des épisodes de grand froid, où la neige se fait secrétaire et messagère de la menace du gel. On s’en amuse, on peste un peu contre elle, uniquement pour le principe d’être en retard au travail, ou encore de la possibilité de voir nos fleurs être givrées et abîmées par le « mauvais temps ». Or, la neige ne se contente pas de cela, elle est aussi vivante, au détriment de notre vie à nous.

Depuis toujours, la neige est hostile, elle crée des paysages désertiques où la faim et la soif peuvent vous tuer. On parle de désert blanc, au même titre que ceux brûlants des dunes de sable. La Sibérie, le grand nord Canadien, les pôles sont inhospitaliers, et les hauts sommets faits de neiges éternelles ne sont pas propices à la vie. Voir la neige tomber, c’est le signe annonciateur d’un changement des perspectives, d’une mutation du paysage qui peut être fatale. La blancheur immaculée de la neige désoriente, elle vous perd aussi sûrement qu’une boussole est supposée vous orienter. Et pourtant, il y a une sorte de poésie dans cet assassin silencieux et si léger ! Le flocon, ce n’est que de l’eau qui a changé d’état, une congère, une accumulation de flocons, et une plaine enneigée un univers de froid et de silence. La nature est silencieuse quand la neige a tout enterré, la forêt elle-même, si orgueilleuse, ralentit son activité.

Est-ce que la neige est méchante ? Elle est juste naturelle, intraitable, franche dans sa beauté et sa dureté. Elle recouvre patiemment ses victimes, aplanit notre propre violence contre la terre, et redessine le paysage sans se préoccuper de notre existence. Ainsi, les trous d’obus de Verdun, les tranchées, les villes en ruine de la seconde guerre mondiale, les corps des soldats de Napoléon ont-ils étés ensevelis en silence, formant ainsi le tombeau des soldats, et revenant à l’élémentaire pureté contre laquelle nous ne pouvons rien. Le général hiver, ainsi fut nommé le pouvoir du froid et de la neige… Et ce n’est pas une force usurpée. Nul ne saurait résister aux éléments. Nous ne sommes pas le roseau qui fléchit, nous sommes ces branches qui éclatent sous l’action du gel de notre sève. Lutter ? Résister ? Les peuples vivant dans l’hiver permanent connaissent et gèrent la nature telle qu’elle est, sans résistance, s’adaptant simplement, sans pour autant subir. Notre monde croit qu’il faut résister, lutter, détruire, dans le vain espoir d’être supérieur à l’hiver. Quelle erreur, quelle bêtise nous mène à une telle réflexion ?

Le froid ne rend pas fou, le froid engourdit, lentement, troublant les sens et l’esprit. L’étreinte de la neige a quelque chose de sensuel, d’enivrant. On se laisse berner par notre envie de la comprendre, d’en épouser la cause en voulant partager une joie supposée. La neige ne tombe pas pour notre plaisir, elle est régulatrice de vie, de mort et d’avenir. Le cycle des saisons ne nous appartient, il est au monde, sans que pour autant nous soyons partie prenante. Laissez donc la neige faire son œuvre, elle se fera épouse autant que maîtresse, elle sera partenaire dans l’existence de chacun de nous.

Observez donc la neige avant de vous endormir. Nous ne déclarons jamais que l’univers du froid est laid, nous avons toujours une sorte de tendresse mélancolique pour les paysages blanchis à la ouate d’eau gelée. Nous sommes aussi éphémères que les pas que nous laissons dans la poudreuse, nous disparaissons tout aussi vite du monde, et le cycle de la vie recommence au dégel, au redoux qui viendra libérer de son piège de glace les plantes et les animaux. Tout n’est que cycle, et nous ne pouvons rien y faire. Un cimetière, si laid soit-il, est moins agressif quand les stèles blanchissent et se parent de blanc. Les monstrueuses cités, laides, sales, deviennent moins affreuses grâce à la neige. La mort des démunis est le signal que nous n’avons pas compris ce qu’est l’humanité, ce qu’est la nature, ce qu’est l’Homme en fait. C’est quand la neige tombe que nous devrions faire naître la solidarité, la patience, l’écologie raisonnée. Vivons, avec la neige, avec le soleil, avec les éléments. Affrontons notre monstre intérieur, et laissons la neige être le compagnon de l’hiver. Aimons la pour ce qu’elle est : la Vie, et la Mort.

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