25 janvier 2010

Perspectives dictatoriales numériques

Je vous préviens par avance, cet article est long, je me suis fendu d'un texte assez lourd et complexe... alors, s'il n'est pas clair, commentez le!

Après avoir longuement réfléchi sur les problématiques politiques du monde actuel, j’ai constaté un phénomène assez surprenant, et surtout très inquiétant. En effet, jusqu’à présent, les références étaient très majoritairement économiques, celles-ci pressant indirectement les politiques à agir : énergie, territoires agricoles, matières premières, ces différents secteurs étaient donc des bras de levier dans les décisions mondiales. L’OMC, tout comme les réunions de l’ONU se devaient donc de traiter les industriels avec respect et même de se commettre avec eux pour le « bien public ». L’exemple chronique du siècle dernier est bien entendu le pétrole, sacro-saint référentiel économique mondial. Vous n’avez pas de pétrole ? Vous dépendez d’un tiers. Vous en disposez, ou le raffinez ? Vous avec le pouvoir de décision, et d’infléchir la politique de vos « clients ».

Or, la nouvelle tendance mondiale semble de radicaliser. Loin du modèle de l’entreprise toute puissante, nous parvenons à des phénomènes dignes des querelles religieuses. Le web, sous sa forme actuelle, est une sorte d’organisme se multipliant à une vitesse folle, faisant penser aux coraux, ou pire encore, à l’algue verte toxique envahissant les océans. En effet, le web s’étend, il se distribue, et s’immisce de plus en plus dans la vie de chacun de nous, ceci avec l’ahurissante collaboration de chacun. La perte volontaire de l’anonymat (voir Facebook), la remise à des tiers de nos informations personnelles (surf dirigiste et stockage des informations relatives à nos profils) font du web un réseau quasi neuronal. La pensée y est véhiculé, l’opinion devient mouvement, la culture une source inépuisable d’informations. Dans ces conditions, nous devenons des cellules d’un macro organisme que nous ne contrôlons plus vraiment, et des acteurs involontaires de sa propre croissance anarchique.

Le modèle libertaire veut que chacun puisse ajouter sa pierre à l’édifice. Telle une tour de Babel, ce rêve a pour but de maintenir les libertés fondamentales, ainsi que la sécurité pour le tout à chacun. En opposition directe avec les dictatures, ces idées mènent aussi à l’anarchie totale, ainsi qu’à la corruption graduelle de l’information, donc de l’opinion mondiale. Aujourd’hui, Wikipedia, tout comme Google et consoeurs, nous servent autant de référentiels (annuaires), que de véritable encyclopédie… Mais aussi de « bible » au sens religieux du terme ! Ce qui dit fait foi, et qui dit foi dit immanquablement dogme. Les détenteurs de la connaissance sont les nouveaux « curés » de cette organisation mondiale de l’information, et le manque chronique de recul des internautes ne peut amener qu’à une seule chose : l’extrémisme.

Internet progresse plus vite que l’homme lui-même : nous n’appréhendons plus ni sa taille ni son impact économique et social. Le Web nous dépasse, il domine et chapeaute tout échange dans le monde. Sans web, plus de commerce ; sans web, plus de téléphonie ; sans web, enfin, plus d’information quelle qu’elle soit ! Ainsi, ce que craignaient les auteurs dans la veine d’Orwell est en passe de se produire (et se produit déjà), ceci avec notre bienveillante collaboration. Le paradoxe est que nous ne pouvons plus vraiment nous passer de la toile, sous prétexte qu’il ne lui existe aucune alternative aussi pratique et rapide… et c’est une vérité. Nous sommes devenus tributaires du réseau, et ce à tel point qu’un naufrage de celui-ci entraînerait rapidement des émeutes, voire des guerres. La guerre de l’information n’est plus une lubie, Google et la Chine se livrant en ce moment même une véritable bataille rangée. Concrètement, l’arme de destruction massive n’est plus la bombe, c’est le numérique, le flux de données modifié de manière malveillante, ou, pire encore, coupé pour interrompre les communications. Sans communication, les nations reviennent quasiment à l’âge de pierre, tant tous les modes de circulation dépendent du numérique (gestion du courrier écrit par électronique, suivi informatisé des colis… rien n’y échappe).

Je parlais de dogme concernant le web. Certains pourraient supposer qu’il s’agit là d’une hérésie, d’un propos par analogie mal venu, d’autant plus pour les croyants… Mais réfléchissons ensemble. Qu’est-ce qui définit une religion ? Un mouvement de pensées communes, d’opinions unifiées, prêtant des qualités surnaturelles à une ou plusieurs entités merveilleuses (déités), le tout amenant à des règles d’existence en société. Le web est une entité intangible, détenant la connaissance mondiale, possédant la capacité d’être omnipotent, et même de faire de nous des « fantômes ». L’informatique sait tout de vous, depuis votre banque jusqu’au registre des naissances. Elle sait où vous mangez, ce que vous consommez, qui vous croisez, elle peut même vous traquer à travers la téléphonie ou vos achats. Omniscient, omnipotent donc… Comme un dieu ! Notons également qu’au sein de cette nébuleuse, il existe des courants forts de pensées qui sont dignes des églises réformées, ou protestantes : radicalisation du fanatisme pour une marque ou une personne symbolique (Apple en est un exemple flagrant avec le symbolique et surprenant Steve Jobs), opposition épidermique entre les différentes mouvances (guerre morale entre les pros Windows et les pros Linux), démarche pragmatique des méga entreprises (Microsoft) à rapprocher de l’évangélisation à marche forcée, démarche généreuse d’autres voies (Linux), ou encore agnosticisme généralisé vis-à-vis des voies intermédiaires.

Le web dicte de plus en plus la façon de penser : théorie du complot devenue un véritable modèle de pensée unique, ceci par la mise en doute systématique de tous les médias, exploitation des peurs mondiales par la mise en avant des catastrophes à venir, ou encore émergence de la puissance des xénophobies, le web est donc autant le siège de l’inconscient collectif qu’il est le dépositaire de la connaissance. Dans ces conditions, que le corps même du web soit atteint par des tumeurs telles que l’extrémisme religieux ou politique, l’intolérance ou le dogmatisme intellectuel n’a rien d’anormal. Ce qui est autrement plus inquiétant, c’est que ce même corps n’agisse pas naturellement pour soigner ses plaies. Il n’y pas de cicatrisation pour les blessures du négationnisme, il n’y a, pour l’heure, que des placebos tels que la censure ciblée (interdictions nationales et non mondiales, filtrage des données, menant de fait à la réduction des libertés individuelles et au droit à l’opinion).

Le web, une religion ? Pas totalement, j’aurais tendance à le voir émerger sous la forme d’un sectarisme. Il va, sous peu, y avoir un clivage entre ceux qui accèdent au réseau, et ceux qui en sont exclus (par manque de moyens, ou par choix personnel). Une embauche se décide par messagerie électronique, le travail se gère par l’informatique, et en conséquence, tout salarié se doit d’être outillé pour répondre à cette mutation de la société. Aujourd’hui encore, on peut envisager la vie sans Internet, sans téléphonie mobile, mais pour combien de temps encore ?

La société de consommation a été surpassée par le web. En effet, les modèles économiques tels que la publicité, les abonnements, ou les forfaits sont anecdotiques face à la masse de « gratuité » (réelle ou illégale). La société capitaliste est dorénavant surmontée d’un juge de paix, le web, le réseau informatisé où l’homme est une maille et non une voix, où l’homme est un identifiant et plus une opinion, où l’homme est un composant et non une entité individuelle. Pour l’heure, être connecté apparaît comme anodin et utile, mais c’est, à terme, une prison numérique sans barreau qui se construit. Les organisations mondiales gérant le réseau sont indépendantes, dénuées d’interventions financières réelles, et donc suffisamment honnêtes pour offrir des perspectives de liberté réelle d’expression et de pensée. Ce n’est pas là qu’il y a une mise en détention de l’humain dans le réseau. La mise sous séquestre de notre vie est établie par notre propre désir de créer un réseau non pas numérique mais social, de ne pas être simplement des intervenants mais aussi des acteurs actifs du modèle. L’analogie religieuse revient donc en force : nous voulons apprendre le pourquoi des choses, partager notre foi dans les réponses, et même nous faire évangélisateurs pour autrui. Ceux qui maîtrisent l’outil informatique sont en quelque sorte les nonnes et pasteurs envoyés, fut un temps, pour enseigner la bonne parole aux ouailles sans âme (puisque non convertis). Nous choisissons des outils, les installons, déployons une forme d’opinion préconçue sur la qualité de nos choix, et nos évangélisés agiront de même, en prêtant foi dans notre connaissance. Telle une église sans chapelle (si ce n’est les sites de référence), notre évangile est polymorphe, adaptable, et supporte aisément la critique, puisqu’il la porte en lui-même par essence !

Objectivement, je crains que les structures de l’information deviennent, à terme, des monstres de puissance dépassant largement les états. La confrontation Google Chine n’est qu’une étape, un contrepoint de l’émergence de ces oligarchies morales et techniques. Autrefois, les notables étaient le curé, le médecin, et le maire. Aujourd’hui, le web est en passe de compléter ce modèle en y fédérant les composantes politiques (médias), économiques (commerce et transit des informations mondiales), religieuses (sites orientés), et sociales (réseaux dits « sociaux »). En soi, le web sera donc la nouvelle superstructure détentrice de tous les vrais pouvoirs. Pas de frontière, pas de patrie, pas d’unicité, rien qu’un amoncellement aussi structuré qu’il apparaît primairement anarchique. Il n’y a pas de véritable anarchie sur le web : il progresse, s’étend, insère ses racines dans tous les domaines, et il devient le « Dieu » que nous devrions au moins autant craindre que celui craint par les croyants sous la nef des chapelles. Son pouvoir dépasse, et de loin, celui des gouvernements. Demain, un nouveau Watergate pourrait avoir lieu à travers le net. Ce serait donc une démonstration de force du réseau contre les politiques. Demain, les campagnes de désinformation pourraient réduire à néant les démocraties, déboulonner des gouvernements, ceci à travers tant des décisions individuelles raisonnées, que par l’action irraisonnée de quelques uns.

Doit-on se prémunir de cette mutation ? Il me semble qu’une priorité absolue doit être donnée à la formation de chaque utilisateur, de chaque entreprise susceptible d’accéder au réseau. Il faut à tout prix que la vie privée ne devienne pas une composante du réseau, il faut que la vie privée demeure une propriété personnelle, sans que le réseau soit omniscient dessus. Une entreprise qui se livre à un tel étalage de sa propre structure se livre en pâture à la machine. Une fois entrée dedans, plus d’issue de secours. Les sociétés ancrées sur le web ne peuvent plus en sortir, sous peine d’en mourir. Le web nourrit autant qu’il affame, et un Microsoft, un Google, un Ebay, ou un Amazon périraient sans le web. De la même manière, trop de services sont définitivement tributaires du maillage central (contrôle des énergies, des informations bancaires/boursières, contrôle des armées…), ce qui amène donc à s’interroger sur la pertinence d’être totalement connecté. Sans paranoïa excessive, et ce malgré des réalités telles que Echelon (réseau de surveillance mondial de l’information, bâti aux USA), l’homme se doit être utilisateur, et non synapse recyclable du maillage. Cet emprisonnement pourrait alors amener à l’émergence d’entreprises par delà les états, des « nouveaux Vatican » numériques, avec des sanctuaires dévolus à l’information. Google désire numériser la connaissance mondiale, et la résistance pathétique des éditeurs ne durera pas éternellement. Le réseau détiendra alors toute la connaissance et la culture humaine. Phare d’Alexandrie ? Pourquoi pas, sauf que le symbole sera aussi signe de prison numérique. Que ferons-nous si les entreprises ferment le libre accès à la connaissance ? Devra-t-on payer pour s’instruire ? Devra-t-on alors être des esclaves numériques ? La puissance n’est une bonne chose que si celle-ci peut être contrecarrée par des contrepouvoirs. Or, qu’est-ce qui sera un contrepouvoir face à des entreprises mondiales, brassant des milliards ? La question reste ouverte…

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