09 février 2010

Garde à vue

Nous vivons une mutation assez étrange dans notre société. Jusqu’à récemment encore, la technologie n’était pas à même de nous contrôler tant individuellement que collectivement. Cela laissait, mine de rien, énormément de latitude tant aux citoyens ordinaires, qu’aux mouvances extrêmes. Ainsi, dans le flottement assez agréable des dispositifs de surveillance, nous pouvions nous organiser, nous réunir, discuter, sans pour autant craindre qu’un censeur, qu’une écoute, ou qu’un maton tienne nos conversations pour « potentiellement dangereuses pour la sûreté de l’état ». Or, l’informatisation à outrance, le développement de systèmes tels que le satellite, la géolocalisation, ainsi que la téléphonie mobile deviennent autant des outils de communication que de maintien sous surveillance.

Loin de moi toute paranoïa excessive : 1984 n’est pas encore arrivé, d’autant plus qu’il y a des hommes derrière les claviers. Seulement, les dérives deviennent de plus en plus flagrantes, et ce sous couvert de sécurité nationale : écoutes illégales, traçage des déplacements grâce au protocole de téléphonie mobile, suivi à travers les activités bancaires, bref, nous nous sommes involontairement soumis à des yeux inquisiteurs, et ce n’est pas fait pour s’améliorer. Entre les lois informatiques telles que DADVSI, et la création de fichiers centralisés comme EDVIGE, difficile de croire que de tels outils se cantonneront à la surveillance des terroristes, ou des marchants de mort. Tout état, aussi honnête soit-il, peut recycler des outils s’appuyant sur une nécessité, pour en faire des armes de surveillance, puis, à terme, de répression. Prenons le cas assez élémentaire du passeport : il est naturel d’avoir l’identité des voyageurs, ne serait-ce que pour interdire l’entrée sur un territoire d’une personne déjà interdite de séjour (criminel par exemple). Là, nous sommes passés à la biométrie, et de force qui plus est, sous l’impulsion des USA. Cela signifie donc que, d’une part, nous donnons nos empreintes aux USA dès notre passage en douane, et que, d’autre part, nous offrons une véritable fiche signalétique de tout ressortissant dans le monde ayant mis les pieds dans un secteur contrôlé par les Américains. Est-ce acceptable ? Certainement pas, encore moins depuis que le sénat Américain a légitimé des lois comme le Patriot Act (censure, contrôle, lois d’exceptions…), ou l’existence de lieux comme Guantanamo.

Le paternalisme sécuritaire est une demande dans toutes les nations du monde : l’état doit protéger les biens et les personnes, et pour cela, il doit s’outiller pour lutter contre toutes les criminalités. Cela comprend : une présence policière, des méthodes modernes d’investigation, ainsi que la formation des agents de contrôle à toutes les formes de criminalité. Typiquement, le piratage informatique, la copie illégale nécessitent des connaissances juridiques et techniques pour savoir de quoi il en retourne. Or, c’est avant tout d’outils de surveillance dont on se dote, et non de méthodes pour sanctionner les véritables escrocs et autres voleurs de propriété intellectuelle ! L’idée, ce n’est donc pas « J’attrape le criminel, celui qui trafique », mais plus « Prenons tous les poissons, on fera le tri ensuite ». C’est ce que j’appelle ouvertement une dérive sécuritaire. Dans le même ordre d’idée, les Anglais s’équipent sans cesse de caméras. Et la vie privée ? Est-elle à sacrifier sur l’autel de la sécurité ? Jamais ! Accepter d’être traqué, piste, suivi, fouillé, c’est accepter de devenir un simple numéro, un détenu sans prison.

Deux choses majeures m’inquiètent : la première, c’est que ce sont les intérêts privés qui décident la justice, la seconde, que nul ne semble se préoccuper des obligations de l’état envers sa propre population. Quand je parle d’intérêts privés, je fais référence à des situations absurdes qui me font hurler de colère : brûlez une préfecture, saccagez les symboles de l’état souverain, et ce sera une tape sur les doigts. Par contre, mettez à sac le bureau d’un PDG criminel ruinant une région entière par la délocalisation d’une usine, là préparez vous au couperet judiciaire, à l’acharnement économique, et à finir ruiné, brisé à jamais. Les « cinq de Conti » sont une belle démonstration : on bousille du mobilier dans une préfecture ? Pas de souci, on réduit la peine à de simples amendes. On bousille du maïs transgénique d’un gros comme Monsanto ? Du ferme ! Où va-t-on dans ce raisonnement ? Vers une société où les entreprises sont celles qui vendent les systèmes de surveillance (informatique, électronique, GPS, et j’en passe), qui, à terme, seront celles qui nous surveilleront directement (privatisation des services de police, de sécurité, milices privées, prisons gérées par des sociétés, les limites sont larges). Ainsi : vous voulez revendiquer ? Brûlez plutôt une mairie qu’une usine, c’est tout aussi visible, mais autrement moins dangereux pénalement parlant…

Le second point, c’est qu’à force de dériver vers un soutien inconditionnel de l’état pour les gros capitaux, nous sommes aussi arrivés à des investissements colossaux pour sauver nos colosses aux pieds d’argile (prêts aux banques, renflouement de la dette et assistance financière pour des Air France, EADS, ou encore Renault, et ceci envers tout respect des règles élémentaires du commerce), mais rien ou presque pour les citoyens. On veut bien censurer la parole, surveiller ce que l’on télécharge, tolérer des fichiers informatisés dignes d’une Gestapo qui ne dit pas son nom, en revanche, on ne mettra pas un centime sur la table pour traiter l’épidémie de mal logement, la problématique des SDF, ou encore la prise en compte de l’immigration. Qu’on ne vienne surtout pas me siffler aux oreilles les plans et autres mesures concernant la construction, ou la réhabilitation des HLM. C’est une fumisterie aussi vieille que les banlieues elles-mêmes. Est-ce à coups de millions qu’on va remettre en route la confiance des gens pour ces quartiers stigmatisés par les médias ? Comment attirer des entreprises, quand rien n’est prévu pour les accueillir : pas de réseau routier adapté, transports en communs insuffisants et souvent déficients, et, pire encore, pas de structures adaptées pour simplement accueillir les dites entreprises ! Ce n’est pas en multipliant les caméras, en réduisant le droit à la parole, ou encore en créant des médias sans consistance (puisque bien profondément empêtrés dans la bienséance et la morale de fond de poubelle) qu’on va faire progresser la société.

A terme, et j’espère ne jamais vivre cela, nous serions alors tous salariés des sociétés devenues états dans l’état, tributaires du bon vouloir de quelques géants, et élisant des pantins prêts à tout pour garder un statut plus honorifique qu’utile au bien public. Qu’on m’affirme que prendre des décisions politiques n’est pas chose aisée, je l’accepte sans broncher. Qu’on me dise que ces mêmes décisions peuvent être dictées non par la société mais par le capital, là je bondis ! Je n’accepterai certainement pas que ce soit une milice privée qui assure ma sécurité, pas plus que je n’accepterai qu’on vienne un jour me reprocher, sans droit de réponse ou de défense « Monsieur, vous êtes un délinquant ». C’est à cela que nous réduisons nos droits fondamentaux ? A des sociétés comme HADOPI qui pourront, sans difficulté outre mesure, nous accuser de manière diffamante, d’être des délinquants informatiques ? Au traitement automatisé de nos dossiers juridiques, à tel point que nous ne serions plus des citoyens, mais des matricules ? Ce n’est pas la France que j’aime, et ce n’est certainement pas la France qui accueillera ma sépulture. Je ne demande pas, j’exige de nos institutions qu’elles prennent la pleine mesure du décalage entre le capitalisme outrancier, et l’économie raisonnée. J’exige également des élus qu’ils comprennent que l’arbitraire n’a jamais rien donné d’autre que l’extrémisme politique ou religieux en réponse. J’exige enfin que les politiques et les acteurs sociaux se décident enfin à s’asseoir autour de la même table, ceci pour que tous aient le même élan, dans une seule et unique direction. C’est si simple de réduire à la garde à vue permanente, c’est si facile de cloisonner la parole, entre ceux qui ont les moyens de se l’offrir, et les autres.

Une dictature, c’est quand on arrive à imposer le silence. Pour cela, nul besoin d’une trique, d’un vigil, ou d’un soldat. Il suffit que la parole devienne insignifiante, facile à contrôler, à censurer, ou à moquer. Ne laissons pas la nation dériver vers une conscience de bonne morale, alors que la France a toujours été terre fertile pour les idées révolutionnaires, pour les idées progressistes, bref, pour l’évolution et non la stagnation.

Faites que je sois entendu !

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