11 février 2010

Philosophie humaine

Ce titre n’a pas pour but de revenir sur notre « cher » BHL national. M’étant suffisamment exprimé sur le personnage, je pense plutôt à ces tous ces philosophes qui emplissent joyeusement les bistrots, et qui, autour d’une boisson alcoolisée, et donc abrutissante, refont le monde et analysent les relations humaines. Forts de leur expérience, ils passent tout en revue : de la vertu du métissage, des qualités morales d’un politique pris en flagrant délit d’escroquerie, ou encore des méthodes aptes à remettre de l’ordre dans les esprits (forcément pourris) des adolescents. Ils sont, à mes yeux, aussi succulents qu’un excellent plat préparé avec amour par une femme adorée. Pourquoi ? Il est vrai que, de prime abord, cette confiture à cochon semble indigeste, mais, si l’on y goûte, on y trouve toutes les saveurs permettant au cynique de s’amuser de ses pairs.

Ah, la bonne foi véhiculée par le philosophe de zinc ! Par essence, elle se définit comme inébranlable, toujours prête à rassurer un auditoire attentif du bien fondé de ses idées, et, pardessus tout, elle a la force de la conviction de celui qui se croit investi d’expliquer au monde « Ce qu’il faut, ou pas, faire ». Les messies de fonds de verre ont cette surprenante et amusante capacité à renier toute incompétence, ceci au titre que « si ils disent ça, c’est parce que je pense comme ça aussi ». Pratique, non ? Entendre une opinion, puis se l’approprier, et enfin l’assaisonner ! En bons cuistots de l’hypothèse, la sacoche à vinasse adorera donc tripatouiller les grands penseurs, afin d’y trouver des excuses, des échappatoires et des définitions propres à lui assurer une haute estime de lui-même. Prenons un exemple : si vous l’accusez d’abuser de la dive bouteille, celui-ci pourra, avec aplomb, s’excuser de son penchant en prétendant qu’il s’agit là de son seul moment de détente. Entre des gosses braillards et malfaisants, et une épouse mal choisie, le philosophe de bistrot pourra donc décréter que l’alcool n’est pas un refuge, mais au contraire une porte vers le repos et la connaissance. Ah, le bar convivial des copains, le tabouret tendu au pote qui vient refaire le monde en votre compagnie…

Le philosophe, le vrai, a pour fonction première de confronter les idées aux faits, et de suggérer des façons de comprendre différemment notre monde. S’appuyant sur le doute, et la remise en question des « certitudes », il aura pour but principal d’aider ses congénères à mieux se comporter, du moins à ne plus apparaître aussi primaires qu’ils le sont en réalité. Le philosophe de comptoir, lui, aura une démarche où les certitudes et les constantes sont légions. Par défaut, l’étranger est dangereux et encombrant. Par essence, la jeunesse est un crime contre la société, et le « penser différent » un outrage à la morale publique. Dans ces conditions, tout jeune étranger sera donc le parasite ultime, le fainéant sans morale qui ira vous piquer votre femme, votre job (n’était-il pas fainéant ? Ah, mais non, on ne s’encombre pas de ce genre de contresens… Trop trivial), ou votre autoradio. J’allais presque oublier : le repriseur de monde aura une étrange tendance à se préoccuper de ses possessions terrestres, alors que la philosophie tente justement de dissocier l’homme de cette existence matérialiste.

Les larmes du philosophe de fond de taverne ne sont pas imitées. Elles sont sincères, car elles reflètent la douleur de vivre dans le paradoxe ; il est douloureux d’admettre son incompétence et sa lâcheté quotidienne, il est affreusement pénible de devoir se soumettre à l’examen critique de soi-même, notamment face à nos échecs que trop criants une fois le verre catalyseur enfourné en soi. Hé oui : il pleurera le comportement outrageant du grand fils en échec scolaire, il pleurera sa relation bancale avec sa femme, qui, la pauvre, est toujours empêtrée dans les tracas des finances d’un foyer à la dérive, et la fatigue d’être plus une bonniche qu’une épouse et une mère, et il sentira enfin la peine d’avoir fait des choix lamentables, parce qu’il aura accepté les « bons conseils » d’un compagnon de dissertation.

Ne le blâmons pas trop finalement. Il veut refaire le monde avec incompétence, mais, quelque part, il agit plus par orgueil que par méchanceté. Doit-on présupposer qu’il est imbécile ? Par nécessairement : c’est aussi qu’il aura évolué dans un milieu peu favorable à l’épanouissement moral et culturel, il aura subi des vexations, des déceptions, propres à lui imposer des idées et comportements peu reluisants. Il est homme, ordinaire, pleutre, idiot, mais par simple protection, tout comme chacun d’entre nous. Les vrais méchants ne sont pas si nombreux que cela. La méchanceté est si ordinaire qu’elle en devient quotidien. Si vous voulez l’aider, ne l’imbibez donc pas : offrez lui la possibilité de réfléchir, à jeun, en votre compagnie. Qui sait, vous pourriez être surpris !

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