08 juin 2010

Culture électronique

Je crois que nous sommes entrés dans une ère culturelle jamais connue jusqu’alors : celle de l’omniscience. En effet, la culture était auparavant au mieux peu accessible aux masses, au pire totalement réservée à une élite lettrée, formée à la seule fin de maintenir et contrôler les foules. A présent que le numérique est devenu quelque chose d’ordinaire, chacun peut (en principe) apprendre, découvrir, et s’informer, ceci sans pour autant être obligé de compter sur le système scolaire, ou sur des médias fortement politisés et censurés. Dans ces conditions, nous sommes devenus « omniscients », au titre que le réseau devient peu à peu capable de répondre à toute interrogation de l’être humain, à condition, bien entendu, que quelqu’un ait daigné prendre le temps de laisser la réponse dessus !

Que ce soit pour se renseigner sur une période historique à travers des encyclopédies en ligne, ou des sites plus spécialisés, ou pour connaître l’avis d’acheteurs pour un produit particulier, nous pouvons nous reposer sur le réseau pour ne plus être dans l’ignorance. Vous voulez changer de machine à laver ? Des comparatifs techniques argumentés sont disponibles. Votre fils veut le dernier jeu à la mode que vous ne connaissez pas ? Pas de panique, des vidéos, des extraits et des tests sont visibles partout sur la toile, ceci vous apportant la certitude qu’il n’est pas trop jeune pour y jouer. Ajoutez à cela les démarches philanthropes comme la numérisation des livres (et leur potentielle mise à disposition gratuite), la diffusion de musique et de contenus additionnels pour les films, et vous obtenez le web tel qu’il devrait être, c'est-à-dire une énorme base de connaissances, un univers d’échanges rapides et surtout le socle des futures discussions.

Les scientifiques sont les premiers à avoir identifiés le besoin, ceci de manière à accélérer les échanges d’informations pour leurs recherches. Plus de papier à envoyer, plus de patience à avoir avec le courrier, le réseau leur permit d’optimiser la communication. De la même manière que le pigeon voyageur fit partie de l’arsenal du renseignement allié en France, le web est aujourd’hui un outil indissociable de la guerre de l’information des champs de bataille modernes. Même les grands médias sont aujourd’hui présents en masse, ceci en rendant interactifs l’information, les schémas, les animations, en complétant leurs offres par des commentaires des internautes… Et c’est là que la dérive commence réellement. Qu’est-ce qu’un internaute, si ce n’est vous, moi, en fait toute personne connectée ?

J’ai nommé cet article « culture électronique » parce qu’il est spectaculaire de constater à quel point l’informatique et l’électronique sont devenus des domaines où la foi complète l’information. Quand on parle de « keynote » chez Apple (réunion annuelle de présentation des nouveaux produits à venir), on parle souvent de « messe ». Cela prend donc une dimension mystique, et qui dit mysticisme dit aussi potentiellement ostracisme, avec le rejet des autres, isolement volontaire d’une communauté, et une forme insidieuse d’évangélisation des masses. Apple n’est pas le seul à agir de la sorte, mais il représente tout ce qu’une culture électronique peut être : des produits élevés au rang d’icônes, des attitudes pourtant commerciales traitées comme des réflexions philosophiques, et un leader charismatique systématiquement encensé par les masses passionnées. On note également une forme d’acharnement à refuser la discussion, et en retour une attitude hostile des non convertis, ceci pouvant mener à l’affrontement verbal.

A force de croire que la culture est électronique, nous finissons par oublier que la culture est quelque chose d’intangible : celui qui lit se cultive, celui qui fait de la musique ou en écoute aussi, tout comme celui qui dessine crée de la richesse culturelle. Le fait que le web permette la diffusion rapide et globale des données n’est qu’un support, pas une entité pensante, et encore moins une autorité morale. Nombre d’observateurs avertis martèlent que le réseau doit être neutre, c'est-à-dire exempt de contrôle étatique (comprendre censure gouvernementale comme en Turquie/Chine avec Google), fonctionnant sans que les opérateurs soient des juges de paix, et que l’utilisateur peut y avoir le droit à la vie privée, tout comme à l’anonymat (dans les limites légales bien entendu).

Le net n’est pas du tout une référence intellectuelle, il n’est qu’une vaste bibliothèque où se mêlent le vrai, le faux, le précis, l’incohérent, le tolérable, l’atroce, et que c’est à chacun d’y trouver son plaisir ou son besoin. C’est une notion vitale, car, plus d’une fois, des personnes s’appuient sur des « vérités » virtuelles, ceci pour finir ensuite ridiculisés de par la nature même de l’information : absurde et fausse (demandez à BHL l’effet que cela fait de passer pour un imbécile en citant des références qui n’existent pas…). Il est clairement difficile de penser que nous sommes capables de tout vérifier, de tout valider, et donc de créer une véritable culture omnisciente virtuelle. Après tout, qui est le contrôleur, si ce n’est nous même… Et les cas de problèmes liés à la véracité de l’information sont légions, et les tribunaux n’ont pas fini de devoir traiter des affaires liées à cela. Neutre, le réseau l’est par son essence sans conscience. En revanche, nous ne savons clairement pas être neutres, encore plus si les sujets abordés sont sensibles. Politique, économie, morale, religion, guerres… que des sujets épineux toujours sujets à controverses.

En admettant qu’il y a nécessité de contrôler, nous admettons donc, par dépit et non par véritable acceptation morale, de devoir censurer et faire valider des propos et des contenus. Mais qui contrôle les contrôleurs ? La question se pose au quotidien avec les environnements tels que les forums ; espaces ouverts (soumis à une simple inscription), l’immense majorité de ceux-ci fonctionnent sur l’autorégulation, comprendre par la gestion faite par des bénévoles, dont les responsabilités sont, mine de rien, très limitées. Que de despotes, de petits acharnés fiers d’un pouvoir aussi vain que virtuel ! Trouver un consensus sur l’élection d’un opérateur (en gros, d’un censeur) n’est pas chose aisée, car les conflits d’intérêts et d’opinions ne peuvent que s’exacerber. Alors, quelle solution viable ? Une charte ? Des lois ? L’appareil juridique n’est pas impuissant vis-à-vis du net, il est simplement nécessaire que ceux qui s’en servent soient formés à la problématique, pas de laisser libre court aux interprétations les plus saugrenues.

Enfin, une question demeure, et c’est la pire de toutes : jusqu’à quel point va-t-on laisser le web devenir omniscient nous concernant ? Les réseaux sociaux (que je déteste cordialement) vont jusqu’à localiser leurs utilisateurs, et leur accorder des bonus ! Des équipements de plus en plus compacts permettent une diffusion en temps réel du son et de l’image (webcams, téléphones mobiles ultra riches…), et des mairies mettent à disposition des réseaux sans fil… Jusqu’où pourra-t-on envisager de rester tranquilles, quand tout sera interconnecté, disponible, et visible ? Ce droit à la liberté d’opinion pourrait devenir un véritable piège pour les citoyens, tant il est déjà relativement facile de pister quelqu’un. La Chine démontre chaque jour que la traque aux opposants n’est pas dénuée de résultats ; la Turquie montre depuis quelques jours son véritable visage de censeur. Et puis, qui ne tremble pas à l’idée d’être juste étiqueté grâce au web ? Les réseaux sociaux sont renseignés volontairement par ceux qui, en théorie, tiennent à leurs libertés fondamentales. Renseigner volontairement un fichier digne des pires fichiers policiers, cela a un aspect quand même assez hallucinant, non ?

J’estime qu’il est de notre devoir individuel de ne pas laisser des traces sur le réseau, sauf à vouloir les revendiquer haut et fort.

Et c’est ce que je fais.

Votre obligé.

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