26 août 2010

Justice? Sur Internet?

Après la lecture d’une brève sur le site sebsauvage.net, je n’ai pas pu résister à l’envie de rebondir dessus. Court, mais intéressant à plus d’un titre, cet article décrit une de mes pires crainte, qui est l’impact de la vie « virtuelle » sur la vie réelle. Commencez par lire le lien ci-dessous, puis revenez, afin que vous puissiez déjà vous faire une idée du problème.

L'article, sur sebsauvage.net

Ca y est ? Vous avez lu ? Personnellement, je vais au-delà du choc initial, car, si la personne a bien déposé un chat dans le container, ce qui est inacceptable et débile, je vois aussi dans cette vidéo autrement plus de délicatesses que l’action d’une personne isolée. Tout d’abord, réfléchissons à la situation, et à l’origine de la vidéo. D’une part, c’est une caméra ciblant la rue (de surveillance donc), qui donc est supposée être là pour la sécurité de chacun, et par conséquent inaccessible au « commun des mortels ». Qui a provoqué la fuite de la vidéo sur la toile ? Un surveillant qui voulait que « justice » soit faite ? Que la dite personne soit condamnée pour cet acte de malveillance et de cruauté animale ? Fort bien, mais où est le respect de la vie privée d’une part, et le droit à l’image d’autre part ? En effet, élargissons notre regard : si une telle vidéo est diffusée, rien n’empêche alors de nous imaginer mis en scène à notre insu, et donc de devenir les vedettes involontaires d’un show médiatique sur le réseau ! Rien que sur ce principe, je suis terriblement inquiet concernant nos libertés individuelles. Toutes les dérives sont possibles : diffusion des caméras de surveillance des plages, donc menant au voyeurisme, usage des images par les entreprises à l’encontre de leurs salariés, ou encore mise en scène de violences (snuff movies), de manière à encore un peu plus provoquer de l’audience.

Passé ce premier aspect du respect de la vie privée, je vois, tout comme l’auteur de la brève initiale, une véritable dérive sécuritaire. A l’instar des films dits de « vigilantes », nous sommes amenés à devenir juges, jurés, et bourreaux tout à la fois. Où est la justice ? Qui sommes-nous pour nous estimer compétents ? Pour ceux qui ignorent ce qu’est un film de vigilantes, c’est une mode cinématographique remontant aux années 70, donc l’acteur emblématique fut Charles Bronson. Le principe était simple : mettre en scène un justicier voulant se venger, ceci à cause des lacunes supposées du système. Les critères principaux du vigilante sont généralement les mêmes : vengeance, usage de la violence, assassinats justifiés par la dite vengeance, et souvent connivence avec un agent de contrôle (policier pour majorité) fatigué des erreurs et du laxisme des juges. En ramenant cela à notre époque, nous pouvons alors être inquiets : n’est-ce pas là, via le web et sa technologie, une incitation à nous prendre pour des vigilantes ? L’usage de la violence, tout comme la traque de la personne incriminée sont illégales, d’autant plus que cela ne saurait être que très difficilement pris en compte par la justice ! Alors quoi ? Si le juge ne peut pas utiliser les documents à charge, car obtenus de manière illégale, quoi faire ? Tabasser la personne ? La tuer, si le crime estimé est « grave » ? C’est une dérive qui fut également connue lors de situations de sinistres mémoire : ratonnades, pogroms, inquisition, émeutes…

Le web est supposé être neutre, au titre qu’il n’a pas, en principe, pour rôle d’être moteur, mais support. Je m’explique : Internet permet d’exprimer ses opinions, de chercher des informations, de partager, mais certainement pas de recruter des traqueurs, des chasseurs de voyous, et encore moins d’inciter au non respect des lois. Imaginez donc le pouvoir de ces sites qui, sous couvert de « justice », pourraient mener des actions diffamatoires, ou de vengeance, contre une personne en particulier. Cela semble anodin, puisque ce n’est que « virtuel », or, il n’en est rien. Le virtuel n’est pas une excuse, ni même un protection contre les conséquences de nos dires et de nos actes. Par analogie, ces sites pourraient bien devenir les remplaçants des livres de propagandes, des campagnes d’affichage, ou des graffitis racistes qui perdurent encore.

L’interaction entre utilisateurs du réseau n’est pas neutre, loin de là. Le réseau, lui, ne fait qu’offrir des liens, des possibilités de communication. On ne peut décemment pas accuser Internet d’être l’origine de ces problèmes, c’est l’homme, et lui seul, qui pourvoie aux propos et aux discours dangereux. Pour moi, il faut différencier deux choses majeures : le web serait la voûte céleste, et les hommes seraient les astres et planètes. Prenons un exemple : nous observons les étoiles, et nous les voyons briller. C’est chaque étoile, indépendamment des autres, qui font, une fois réunies, un spectacle unique. C’est ce que propose le réseau : voir des milliards d’étoiles, que nous pouvons alors observer séparément. Les réseaux humains, de connaissances, d’amitiés, ou de travail, seraient alors le système solaire par exemple. Chacun de nous serait un astre spécifique, interconnecté aux autres via la gravitation, les trajectoires stellaires, et donc liés aux hommes, mais ceci dans un système au périmètre défini. L’analogie me semble d’ailleurs opportune, notamment concernant la notoriété de certains : telles des comètes, ou des astéroïdes, certaines personnes traversent nos réseaux personnels, et en disparaissent aussi rapidement qu’elles sont apparues ; d’autres sont des soleils, créant des communautés solides autour d’eux, et maintenant ces liens de par leur aura et leur compétence (C’est le modèle technologique et participatif de Linux notamment, autour d’un Linus Torvalds). Où je veux en venir ? J’y arrive : donc, si nous admettons être ainsi sur le web, c’est donc, qu’en agissant comme la news le décrit, nous devons des trous noirs. Nous absorbons la lumière, engendrons une déstabilisation de notre environnement, au point de perdre toute clarté. En acceptant, que la justice puisse se faire par nous-mêmes, c’est alors accepter tacitement d’être jugés en retour, sans avocat, sans aucune possibilité de défense d’ailleurs.

L’Histoire nous a démontré qu’accorder au peuple le droit de justice, et de sanction n’a jamais rien donné d’autre que la terreur. La vengeance, la haine, tous ces sentiments négatifs sont d’excellents outils entre les mains de gens peu scrupuleux. Je vais refaire un dernier parallèle avec le « monde réel ». Bien souvent, les groupes néonazis recrutent des jeunes désoeuvrés, et le modèle est de les fanatiser par la propagande, ainsi que par l’esprit de corps. De cette manière, ils n’admettent plus qu’une vérité, celle de la meute, celle du groupe, et surtout celle du meneur. L’action constatée contre cette femme n’a rien de bien différent, car tous ont pris la vidéo pour argent comptant. Quid de la vérification ? Quid de l’obligation de réserve et de précaution ? Je trouve tout particulièrement suicidaire de laisser l’esprit critique au placard, surtout quand il s’agit de justice ! Je ne peux et ne pourrai jamais admettre que l’on puisse utiliser le réseau de la sorte. Il doit être vecteur d’information, pas de prolifération ni de prise de décisions aux conséquences terribles. Restons prudents, analysons : nous avons choisis des élus, nous maintenons nos systèmes politiques et juridiques justement pour que le peuple ne soit pas directement habilité à se prendre pour un juge absolu.

« Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument. » (Lord Acton).

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