28 octobre 2010

Série ambiance Volume 2 : le fourgon blindé

Il faisait un temps splendide, « un temps splendide pour se faire plein de fric ! » m’avait lancé cet imbécile de David. D’après lui, il valait toujours mieux se faire un guichet quand il faisait beau, parce que c’est plus sympa en cas de fuite si les képis débarquaient en masse. Abruti. Quand on doit sortir d’une banque cernée par la volaille, c’est certainement pas par derrière, au volant d’une bagnole de luxe, mais généralement les pieds devant, ou au mieux les pinces de crabe aux poignets. Quoi qu’il en soit, on avait quand même monté ce plan foireux pour braquer un fourgon plein de la fraîche des hypers de la région. Des valeurs non marquées, plein de biftons, de quoi nous assurer une retraite paisible aux frais des bourgeois !

La préparation fut relativement simple en fait : quatre gus, David, ma gueule, Joseph et Arthur. A nous voir, on était le quatuor classique et cliché de la banlieue de Paname ! David, le demeuré déterminé, issu d’une famille de paumés où les parents picolaient, la frangine pas finie se faisait engrosser presque tous les ans, et lui lourdé du bahut à 16 piges. Pas même le certif’ en poche, presque analphabète... Une horreur sociale. Joseph lui, c’était le finaud, le mec malin qui vivait de l’embrouille et de la magouille depuis deux décennies. D’abord dans la chignole de bagnoles, puis ensuite dans l’ouverture de coffres, le garçon avait fait quelques séjours en centrale pour « mauvaise conduite ». Frêle en apparence, c’était le gars de parole, de confiance, solide quoi qu’il arrive. C’était d’ailleurs avec lui que j’avais plongé cinq piges pour un braco raté d’un bijoutier. L’échec total, mais la leçon de vie : ne jamais se mettre à la colle avec des branques. En un sens, il aurait presque pu faire autre chose, puisqu’il avait de la bouteille comme serrurier, il avait une fille en fixe, pas d’aventure, pas de picole ni de défonce, le mec clean quoi. Son seul vice, c’était le PMU, c’est dire à quel point il aurait pu avoir une vie ordinaire ! Mais le pognon, ça cause quand on en a, pas quand on l’attend des allocs. Arthur, c’était le cas à part, le perché absolu, le gus dont on ne sait jamais ce qu’il pense. Imprévisible, instable, avec des accès de violence incontrôlables, c’était le porte flingue idéal, mais aussi le pire des psychopathes s’il était amené à se défendre. Sa trajectoire était aussi ordinaire que pathétique : gosse battu, DDASS, famille d’accueil de merde, fugues à répétition, la rue, la came, l’hosto, les O.D, la seringue, la haine au ventre. Il n’avait jamais eu un job stable plus d’une semaine ou deux, jamais il n’avait eu une gonze pour le stabiliser. Pas qu’il soit violent avec les minettes, mais sa carrure de déménageur et son caractère sombre en faisait un type peu abordable. Et dire que ma frangine en était barge ! Je lui avais dit de la laisser l’approcher, mais le Arthur, lui, avait la pétoche des nanas. Un gorille ayant la trouille d’un agneau, comique, non ?

Moi ? J’étais passé par l’école du braco très tôt. Un peu de pognon dans le recel, des « cours personnalisés » dans la cambriole, un peu de placard, puis le passage à la vitesse supérieure avec des types du milieu. D’abord des mites, puis ensuite du lourd avec de la joncaille, des sacs de billets dans les banques, et même le plus gros gain en interceptant un fourgon faisant de la livraison de valeurs aux magasins. Seulement, ça peut foirer, même les meilleurs plans peuvent merder ! Au total, dix berges, cinq pour la bijouterie, deux pour vol avec violence (on avait sérieusement déconnés en tabassant le diamantaire), et encore trois réparties en six mois et dix-huit, la première pour une baston à la con dans un resto (j’avais trop picolé... et j’ai démonté le pauvre type aussi beurré que moi), et la seconde peine pour avoir sorti ma pétoire dans une embrouille. Là, le juge avait voulu m’épingler et m’avait bien mouché. Du CV de compétition, hein ?

Le plan était super simple : PM à la pogne, pistolet à la ceinture, cagoule, pelure en cuir, on bloque le fourgon par devant avec un SAVIEM fauché sur un marché, et on bloque derrière avec une R30 tirée sur le parking de la préfecture de Nanterre. Facile : une ruelle bien pourrie, mais pas de circulation, pas de dégagement... On ouvre les portes du SAVIEM, on braque le chauffeur, il lève les bras. Derrière, on descend à deux de la R30 et en joue les trous duc ! Et envoyez la monnaie ! On se tire une bagnole plus haut, une Alfa 33 garée plus haut, et hop la liberté ! Je ne voyais pas ce qui pouvait déconner, et même Arthur, généralement nerveux semblait enfin un peu plus cool. « Ouais mon pote, on ouvre la conserve, on se tape les sardines, on ficelle les rôtis, et c’est parti avec la fraîche ! ».

Ouais mec, direction le cimetière.

Le bahut passa devant notre bagnole, et on embraya de suite le pas. Il roulait pépère, se traînant presque dans la rue. A une centaine de mètres plus hauts, il y avait le SAVIEM bleu en stationnement sur un emplacement livraison. Par talkie, j’ai dit à David de déboîter. Paf ! Le bahut devant lui qui pile, warnings, « On est en panne, j’arrive plus à démarrer » que gueule David par la fenêtre. Joseph ouvre les battantes, et plaf il colle une rafale de FM dans la vitre blindée et gueule « mains en l’air les connards ! ». Et là, je sors de la charrette avec Arthur, on fait pareil sur l’arrière du fourgon. « Ouvrez ou on vous flingue ! ». D’abord pas de réaction, tout se passe calmement, sans un bruit, comme si le temps s’était suspendu. Impeccable, me dis-je en souriant et en visant les deux lourdes portières. S’ils se la jouent cool, ça va le faire. On leur gueule de balancer leurs armes, et les mecs, pas cons, s’exécutent sans trop rechigner. Tu m’étonnes, se faire buter pour le fric des autres, y a rien de plus con ! Un coup de pompe, la double porte s’ouvre, et Arthur et moi on empoche les sacs. L’Alfa est à une dizaine de mètres, nickel, Joseph est déjà au volant, le coffre ouvert. Je fais passer les sacs à David qui se marre. Arthur est zen, tout roule...

Puis la merde a commencé.

J’entends la deux tons derrière nous. Merde, une patrouille ! Ils ont dû être appelés après les coups de feu, et ils étaient dans le coin. Chiotte, ça va chier. Arthur se retourne, il pointe, et tire une rafale en l’air en gueulant « Foutez le camp ! ». Merde, c’est une banalisée, la BRB ou la crim’ ! Fais chier ! Ils s’arrêtent, se planquent derrière les portières de leur R18 break, et ils flinguent. Arthur en prend deux, et avant de tomber, il arrose la bagnole. Merde de merde, un flic sur le carreau, les pruneaux sont passés à travers de la portière ! Fais chier, on est foutus là ! Je fais feu moi aussi, et le flic encore entier recule, traîne son pote, et se barre derrière les caisses en stationnement. A l’autre bout de la rue, c’est l’horreur, une autre bagnole s’engage, sirène hurlante ! On est coincés ! Joseph s’excite, il enquille la première, il fait gueuler le moulin, et je le vois s’envoyer droit sur les poulets. Ce carton ! Le cul de l’Alfa se redresse, puis retombe lourdement. Lui, il a la gueule en sang, ça fume, tout le monde est en vrac. Putain de merde ! David, faut pas traîner, va démarrer une bagnole ! Grouille ! Il lâche les sacs, cavale vers une BM’ garée en avant du carton, et se prend une bastos dans le buffet. Un des flics blessés sort, la tronche balafrée, l’arme encore fumante. Putain ! Foutus pour foutus, j’arrose ce connard... il en prend une dans la cuisse, et se casse la gueule sur le bitume, braillant comme un cochon qu’on égorge.

Je me retourne encore une fois, et je vois les convoyeurs. Ils ont la trouille, ils se planquent. Ils ont refermés le blindé, en attendant que ça se passe. Il y a déjà du monde qui arrive, des renforts. Où me planquer ? J’arrose la rue, un chargeur, puis deux... Et blam, une première dans l’épaule, une seconde dans le bide. Le trou noir. Ils me ramassent, je vais crever...

« Ils sont tous morts » balance un toubib en blouse à un flic en civil. Et l’autre de répondre « pas tous, celui là pas encore... mais ça sent le sapin aux assises ». Et ouais David, t’avais raison, c’était une belle journée, mais une belle journée pour mourir.

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