29 octobre 2010

Série ambiance Volume 3 : cybermonde

Nuit noire dans le ciel, lueurs de néons et de lasers au sol. La ville tentaculaire respirait son air vicié et constellé d’éclairages de publicités, tandis qu’en ses veines pulsaient le flux d’humains interconnectés et toujours trop pressés. Automatisés, régulés, gérés à outrance, les êtres étaient devenus des modules de connexion, des relais de l’information numérique, voire même de simples réceptacles louant de l’espace de stockage à la durée. Depuis l’avènement des connexions neuronales, rares étaient ceux qui déconnectaient, à tel point qu’il y eut des cas de décès par inanition, l’humain interfacé oubliant littéralement de prendre en compte ses besoins physiologiques. Les réseaux sociaux globaux étaient devenus les maîtres incontestés de l’union des peuples, surpassant même le pouvoir des gouvernements. Les grandes entreprises ayant ainsi la main mise sur leurs clients, purent aisément s’immiscer dans les décisions relatives aux états. Certains crièrent au génie par la fin de certaines guerres, d’autres au scandale tant il fut évident que les inscrits aux réseaux globaux n’étaient plus des citoyens, mais des clients de services virtuels.

On ne censurait plus l’information, c’était devenu inutile de par le principe même de la masse. En effet, inutile d’interdire la diffusion de critiques, puisqu’il suffit de la noyer au milieu d’une information formatée, prompte à encenser les réseaux, ceci sous couvert d’être des opinions émises par les membres de la communauté. Se déconnecter ? Pourquoi ? Est-ce utile d’être déconnecté ? Ce furent les grandes tendances sur la toile cérébrale : à quoi bon sortir du virtuel puisqu’il peut s’insérer discrètement et efficacement au réel ? Depuis la publicité s’imprimant dynamiquement sur des espaces vides prévus à cet effet, jusqu’à la prise automatique de commande de produits frais livrés à domicile, n’importe qui serait séduit par l’aisance et l’efficacité des ces réseaux de neurones. Mieux encore, au lieu de subir l’insupportable obligation d’antan de se servir d’un clavier, chacun pouvait rédiger des billets, juste en y pensant, et qui plus est corrigés par le système ! Chacun put se prendre pour un puit de science, citant à l’envi des philosophes obscurs, des auteurs talentueux, et ainsi menant soi-disant la civilisation à son firmament. La violence ne fut plus à l’ordre du jour pour la majorité des « élites », et on se prit à rêver d’un nouvel Eden.

Des pas rapides dans les flaques, des heurts métalliques à une intersection. Ils sont en uniforme, ils courent vite, cherchant à pointer leur cible qui n’arrête pas de leur échapper. Pas marqué, pas fiché, pas de connexion neuronale, impossible à traquer numériquement. Une plaque d’égout glisse et se referme presque aussitôt, tandis que la foule hébétée continue sa déambulation, sans même se préoccuper de cette silhouette vêtue de gris qui vient de disparaître dans une trouée de l’asphalte. La milice cherche, examine, interroge les systèmes de sauvegarde des passants, en vain : le fuyard a brouillé son passage dans la mémoire numérique des soumis au réseau. Plus qu’un pirate, un fantôme, même les caméras de quartier sont devenues aveugles à son passage. Le réseau s’agite alors, les connexions se multiplient, et déjà des hélicoptères scrutent la foule à l’aide de faisceaux très puissants, et nombre de serveurs lancent une recherche heuristique de toute information sur la proie. Rien. Néant. Le démon déconnecté est invisible, il parasite le système sans qu’il soit possible de l’y piéger.

Les gens n’eurent qu’un pas à faire pour céder leur liberté aux majors de l’information sociale. « Laissez nous vous aider à vous regrouper et à vous fédérer, sans frontière de langue ou de culture. Devenez cyberactifs » disaient les publicités. Certains s’offusquèrent, mais même les réticents plièrent et s’inscrirent. Après tout, chaque service, chaque commerce, chaque banque, chaque personne finissait par avoir son point d’entrée dans la tentaculaire banque d’informations ! Pourquoi continuer à jouer les Cassandre, puisqu’il n’y avait pas là de quoi s’inquiéter ? Et puis au pire, on pensait pouvoir couper le flux, se débrancher. Or, personne ne le fit, pas même pour dormir. Les programmes annexes se multiplièrent : activités ludiques, voyages virtuels, thérapie comportementale par connexion directe du praticien au patient, et même simulations sexuelles pour atténuer les frustrations de la foule. En deux ans, ce fut quasiment le monde entier qui devint tributaire, et l’on se mit à équiper les pays du tiers monde, ceci pour leur vendre du bonheur électronique.

Course dans les égouts infestés par la vermine et les rats. Les pas piétinent les déchets du dessus, et se rejoignent finalement. Il fait noir, pas de lumière, pas de bruit. La conversation est informatisée, ils se connectent entre eux mais en dehors des mailles du filet de la cité, ils sont une dizaine et ils partagent leurs idées en quelques nanosecondes. Ils sont prêts à passer à l’action, même si leur plan semble avoir été quasiment éventé. Il faut faire vite, avant que les services de la sécurité virtuelle corrigent les failles de sécurité du réseau. La rapidité est la clé, sinon c’est la mort. Un signe de tête, quelques poignées de main, et l’affaire est entendue. Ils se séparent et prennent chacun une direction différente, en avant pour l’action qu’ils espèrent finale et définitive.

Peu à peu, les opinions se lissèrent dans la toile. En effet, l’afflux massif de propagande millimétrée, ainsi qu’une action aussi rapide qu’efficace contre les critiques permirent au système d’endiguer toute forme de critique. On offrit des moyens illimités aux services dédiés à la traque des résistants, et on leur diffusa des micro programmes spécifiquement conçus pour déformer et reformater les opinions, mais ceci si subtilement que presque personne ne se rendit compte de l’acte barbare que cela représentait. On reconditionna des millions d’humains, faisant d’eux de dociles salariés et consommateurs. Pourtant, une petite population émergea. Discrète, s’organisant vite et efficacement, ils devinrent les nouveaux résistants face à l’omnipotence et l’omniscience de la toile cérébrale. Ils devinrent également la terreur absolue des despotes en col blanc, ceci en réussissant des coups d’éclat comme le sabotage de certaines campagnes de conditionnement, en détournant les mécanismes de publicité, et, leur plus grande réussite jusqu’alors, à immiscer le doute dans nombre d’esprits propices à la réflexion. Bien qu’encore convaincus des bienfaits de la toile, on constata alors que certains se mirent à essaimer les idées de liberté, de droit à la vie privée, voire même de révolte contre le système. On en neutralisa certains, mais les plus « visibles » furent laissés en paix. Un leader d’opinion, aussi factice qu’il soit, ne doit pas être déposé sans raison apparente... du moins pas sans une excellente justification.

Elle est brune, élancée, les cheveux courts, vêtue de sa combinaison grise. D’une mains décidée, elle pose un boîtier contre un chemin de câbles, et bascule un interrupteur. L’appareil bourdonne, vibre et deux voyants clignotent. Elle réitère l’opération à plusieurs endroits, puis, une fois son sac à dos vide, se connecte à son réseau alternatif. Son sourire est radieux. A haute voix, elle appelle ses amis résistants, leur demandant s’ils sont prêts. Tous sourient, ils ont réussi, ils sont en passe de faire leur plus grande action, leur plus grand coup à la pieuvre virtuelle. Ils sortent à la surface, et ils regardent autour d’eux. La foule n’a pas changé, tout est normal, si ce n’est ces uniformes qui cherchent encore et encore cette ombre grise qui leur a filé entre les doigts. Le spot se fixe sur la jeune femme, et un haut parleur hurle des ordres. Elle regarde vers le ciel, sourit à l’objectif de la caméra embarquée. Sur tous les écrans apparaît l’image de cette femme qui brandit un doigt rageur au caméraman. On s’offusque, on hallucine, et dans la foule des explosions de rire commencent. Un homme rit aux éclats, puis un autre, une fillette se tient les côtes, le rire se propage. Puis la femme en gris presse un bouton sur une sorte de télécommande.

Les boîtiers affichent deux lampes vertes. Le réseau change, les données deviennent troubles, les publicités virtuelles se décomposent comme des bâtiments s’effondrant pendant un tremblement de terre. Elle rit. Les soldats veulent l’abattre, mais ils sont pris de convulsions. L’hélicoptère pivote, part en autorotation, et s’écrase contre une façade vitrée. C’est l’incendie. La foule semble soupirer, retenir son souffle, puis revenir à la vie. Le réseau est devenu chaotique, toutes les données jadis censurées refont surface, toute la musique interdite inonde les ondes neurales. La toile n’est plus prisonnière, les verrous ont sautés. En quelques secondes, chacun a pris connaissance de l’horreur de leur existence morne et formatée. C’est l’émeute. Nombre de personnes continuent à s’acharner à tenter une reconnexion aux services, en manque immédiat d’une drogue numérique supérieure à leur propre volonté. Pourtant ils ont réussi, le réseau est dorénavant plombé ici, il ne pourra plus contrôler la mégapole, il ne pourra plus être un maître pervers et cruel.

Une ville, bientôt des nations, et qui sait, si la révolution se met en marche, le reste du monde...

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