15 octobre 2010

Témoin de la fin

J’ai déjà évoqué à maintes reprises le ridicule de la lecture du devenir de l’humanité à travers ses angoisses liées à la fin du monde en 2012, ou encore par sa paranoïa permanente à l’encontre de la différence. Nombre de gens tremblent à l’idée qu’il puisse exister un ennemi latent, sournois, monstrueux, tapis au sein des gouvernements, et prêt à réduire l’humanité à néant sur une simple décision contresignée dans un obscur bureau anonyme. Mais nous, chacun de nous, comment pourrons nous réagir face à la fin, face à la destruction, si celle-ci se révélait inexorable et inévitable ? Que deviendrions nous, si ce n’est des bêtes sauvages, tout aussi affolées que les animaux paniqués lors d’un incendie de forêt ? y songer se révèle passionnant, et mérite que je me penche sur la question par une lecture très personnelle de notre « destin » supposé.

C’en était fait. Tels furent les mots qu’auraient pu poser tout analyste face à notre situation d’humains condamnés à disparaître. Le pire était finalement arrivé, nous devions nous plier à l’évidence : d’ici quelques jours, voire quelques heures, nous serions réduits à néant, à tout jamais. Et pourtant, tout ceci semblait tenir d’un mauvais scénario de cinéma catastrophe, d’une mauvaise histoire de roman de gare ! L’homme sera anéanti d’ici peu, et chacun aura à trouver sa place non ici bas, mais au ciel, ou en enfer. Que s’était-il passé ? Trois fois rien finalement, l’absurdité étant dominante dans toute cette affaire, car, au fond, nous n’aurions rien pu y changer. « Ils » se disaient venir de notre futur, d’un lointain futur où l’on avait estimé que nous autres, humains à peine sortis de l’obscurantisme, nous étions voués à disparaître tant nous étions dangereux pour nous et pour le reste de l’espace. Ils n’avaient pas tergiversés, et l’annonce fut en effet très claire : ce serait la fin d’ici demain midi.

Tout d’abord incrédules, les images forcèrent l’humanité à accepter cette vérité. Ce fut d’abord le sort de nombre de capitales qui exprima l’horreur de la dévastation. En quelques instants les plus grandes mégapoles disparurent, tout simplement vaporisées sous la forme de cendre et de vapeur d’eau mêlées, puis retombant en pluie noire poussée par les grands vents. Pas de lumière vive, pas de « laser », rien qu’un immense maelström, comme un nuage sinistre qui se forma sur ces cités pourtant si orgueilleuses. Sans grande détonation, elles s’évaporèrent, ni plus, ni moins. En quelques secondes, des dizaines de millions de morts. En quelques minutes, plus d’un demi milliard d’âmes se séparèrent de cette vie terrestre.

Effarés, les médias couvrirent les évènements avec brutalité, sans avoir vraiment le temps de réaliser l’impact visuel et moral sur l’humanité survivante. Ceux qui avaient vu au loin ces villes tomber furent rapidement souillés par ces pluies d’horreur, couverts par cette boue faite des cendres de vies carbonisées, outragés par l’absence de sens de la situation. Alors, nombre de personnes se mirent à prier un Dieu, parfois même un Dieu d’un autre, choisissant un peu au hasard un refuge spirituel pour trouver un peu de réconfort. On vit affluer les foules dans les églises, les synagogues, les mosquées, les temples. Des milliards de cierges éclairèrent la nuit, on fit des veillées, des retraites au flambeau, on déambula dans la rue en chantant, en communion humaine avant l’extinction définitive de notre race. D’autres choisirent l’exact opposé en s’enivrant, en pillant, en profitant des derniers moments de vie en libérant leurs pires instincts. Il y eut des fusillades, des bousculades, et énormément de morts en vain. Pourquoi défendre un commerce qui, de toute façon, était voué à disparaître ? Certains, enfin, se donnèrent la mort avec leur famille, choisissant de ne pas laisser leur sort à des inconnus, à des monstres froids et calculateurs qui avaient d’après eux, estimés que notre existence était une injure à un équilibre cosmique quelconque.

Et puis, finalement, les heures s’égrainèrent sur les clochers et les montres. Au petit matin, le soleil se leva ou se coucha pour chaque fuseau horaire. Tous, nous scrutâmes le ciel avec curiosité et presque indifférence. La nuit avait porté conseil, il nous fallait accepter notre sort, peut-être tout simplement parce que nous étions impuissants à changer notre destin. Beaucoup d’entres nous se changèrent et choisirent leurs plus beaux vêtements. On vit des enfants en costume, des mères dans des robes jamais sorties de peur de les abîmer. On vit des gens se serrer la main, s’embrasser, se dire adieu avec les larmes aux yeux. Quelques uns, avec le courage et la dignité propre à certaines âmes, eurent ce sursaut de se tenir droits, fiers, un sourire d’orgueil sur les lèvres. Mourir ? C’est le destin de tout homme, c’est l’avenir de chacun. Quitte à mourir ce matin, autant le faire dignement.

On écouta tous la radio et la télévision dans la rue. Les politiques agirent comme nous. D’abord jaloux de leurs prérogatives, ils comprirent qu’il serait inutile de vouloir raisonner ou gérer quoi que ce soit. Alors, eux aussi, se mêlèrent à la foule dans les rues. Les derniers journalistes, les plus déterminés, les plus fiers de leur métier, persistèrent jusqu’au bout à émettre. On entendit avec émotion ces présentateurs et présentatrices nous saluer, remercier la foule, nous dire à quel point ce fut un honneur de travailler pour nous. Certaines nations chantèrent un hymne, d’autres entonnèrent des airs de paix et d’amour. La foule sut lancer « Imagine » avec fierté, elle sut aussi rayonner dans la beauté d’un Ave Maria improvisé.

Si un jour vous réussissez à voir ces dernières images, vous qui m’écoutez, sachez que la paix fut mondiale, ceci pendant quelques heures. Tous les peuples apprirent à s’aimer, toute l’humanité découvrit qu’il n’y a rien de plus grand que notre existence commune. Ironiquement, les plus grands despotes, les plus grands fous durent apprendre avec cette atroce réalité qu’il faut vivre ensemble pour que cela ait un sens. Sans ennemi, la peur n’existe plus, mais sans humanité, la vie n’existe plus elle aussi.

A présent, je m’en vais rejoindre mes camarades. Je vais périr avec eux. Pas question de me terrer comme certains le font en ce moment même. A quoi bon survivre si c’est pour être seul ? A quoi bon espérer leur échapper, puisqu’ils ont déjà réduits à néant tant de vies ? Les communications, saturées, détruites, inutilisables, ne m’ont pas permis de savoir si certains des êtres qui me sont chers sont encore là, ou s’ils sont déjà morts. Quoi qu’il arrivera, j’espère les rejoindre, où que nous allions. Adieu à tous, je vous ai tous aimés.

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