21 décembre 2010

Poussés au désespoir

Nombre d’évènements sont traités avec une étrange constance : on ne parle que de « coup de folie », d’acte « incompréhensible », voire même on parle de terrorisme. Or, il me semble indispensable de réfléchir plus profondément sur les actes des gens, surtout si ceux-ci mènent à des situations intolérables. Depuis le type qui tire sur la foule, jusqu’à celui qui se fait exploser en pleine rue, il y a de quoi se poser des questions. Est-ce réellement que la seule folie ou le fanatisme politique et/ou religieux qui mènent à l’extrême, ou bien a-t-on un éventail d’émotions plus difficile à admettre ?

On ne saurait nier l’existence du fanatisme. En effet, l’endoctrinement est une constante dans nombre de régimes, ne serait-ce que pour s’assurer d’avoir une force de frappe dénuée de sentiments, et surtout capable d’aller au-delà des limites de la conscience. De là, évidemment, la question fondamentale qui se pose est de savoir par quels moyens on peut obtenir cette main-d’œuvre capable d’aller au suicide ou au massacre, qui n’hésitera pas à tuer femmes et enfants, et qui finalement acceptera l’ultime sacrifice avec le sourire. A mon sens, le terreau n’est pas uniquement constitué de gens faibles, de gens sans éducation et sans intelligence. Je dirais même que c’est paradoxalement le contraire, car agir, c’est aussi une part de réflexion et d’acceptation des dogmes et autres règles régissant nos actes. Je crois qu’il y a foncièrement une cause majeure à l’engagement extrême des gens, et cette cause n’est rien de plus que le désespoir. Poussez quelqu’un dans ses retranchements, ôtez lui tout espoir dans la vie, démolissez tout ce qui faisait de lui un être civilisé, et vous obtiendrez quelqu’un capable de tout. Que ce soit la guerre, le racisme, la déportation, ou bien le chômage, la pauvreté, ou encore la détresse sociale, rien n’est plus efficace pour pousser à bout une personne. Inutile de parler de foi ou de convictions, là on ne peut qu’être persuadés qu’il s’agit uniquement d’une détermination à sortir du monde de la manière la plus violente possible, comme pour marquer ce passage dans les esprits.

Il est notable qu’on tente de rassurer la foule à travers des discours confortable. Les médias décrivent des gens déprimés, suicidaires, ou ayant des antécédents psychiatriques. Pour certains, il s’agit effectivement de pathologies, mais pour bien d’autres, l’essentiel serait de savoir pourquoi ils sont suivis. Cela n’a rien d’anormal de consulter des psychiatres, car la vie est capable de nous confronter à des situations que nous pouvons avoir du mal à surmonter. Un décès, l’effondrement de la sphère familiale, la violence conjugale, nombre de choses peuvent pousser à bout n’importe qui. Mais pourquoi ne pas avoir l’honnêteté de se demander si les gens sont plus que des fous ? Parce qu’il est bien entendu évident qu’on ne doit pas effrayer le consommateur de base en lui faisant comprendre, à travers sa télévision, que son voisin peut potentiellement craquer, qu’il peut, lui aussi, sortir le fusil et aller au bout d’acte déraisonné. Notre société individualiste ne peut certainement pas admettre que l’isolement de chacun de ses membres peut amener bien au-delà de nos barrières morales et sociales, car ce serait remettre en cause un de ses fondements.

Peut-on, et ce concrètement, lutter contre ces actes de folie pure ? Je crains qu’il n’y a pas de solution universelle. L’internement des pathologies les plus lourdes et les plus dangereuses n’est en soi qu’un palliatif, car les camisoles chimiques ne règlent pas grand-chose. Pour toutes les autres situations, je crois qu’il y a déjà une révolution sociale à mener, ne serait-ce que dans l’acceptation des autres. L’indignité collective est flagrante concernant les maladies mentales, tout comme concernant les dépressions nerveuses. Nous refusons, et ce en bloc, d’admettre que l’autre puisse fléchir, voire craquer, ceci face aux pressions qu’il s’impose lui-même en plus des pressions du groupe. Il est autrement plus facile de faire sortir quelqu’un du moule social que de lui offrir un échange cohérent et solide. Il faut également noter qu’à travers nos attitudes, nous isolons d’autant plus facilement que nous refusons d’être à l’écoute des autres. Le drame est profond, car il faut peu pour tout perdre. Pardessus tout, l’orgueil est souvent la première cause d’échec. Notre fierté mal placée nous pousse à admettre que nous allons mal, elle nous amène à nous enfoncer encore un peu plus dans le désespoir.
Aider, c’est non un acte de charité, c’est un acte d’humanité. Nous devons absolument protéger les autres pour nous protéger, et c’est aujourd’hui que le besoin est le plus flagrant. La pression sociale, s’appuyant sur le consumérisme, est actuellement une de nos pires difficultés. En effet, sans emploi pas d’argent, sans argent pas de consommation, pas de consommation pas d’existence sociale. En perdant son emploi, n’importe qui peut rapidement partir à la dérive, parce que notre monde le considèrera à tort comme un poids mort. Il est urgent que nous prenions la pleine mesure de ce phénomène, notamment dans les classes les moins aisées. Quelqu’un de « riche » pourra, un temps, croire que tout va bien à travers son pécule. Quelqu’un vivant déjà sur la corde raide sera rapidement aculé, pressé par des dettes, mis à la rue par un propriétaire inquiet pour ses revenus. Ne laissez surtout jamais un proche dériver à ce point. Le plus élémentaire sera de l’aider à reprendre pied moralement. Quelqu’un bien dans sa tête peut reprendre un travail, quel qu’il soit. Quelqu’un en échec perpétuel coulera d’autant plus vite que ses erreurs s’accumuleront, le confortant alors dans son désespoir. Aidons, aimons, communiquons, sous peine d’avoir de plus en plus de gens « pétant un plomb », et tuant aveuglément celles et ceux qu’ils auront rendus responsables de leurs malheurs.

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