31 janvier 2011

Gainsbarre

20 ans après, Serge Gainsbourg est encore un personnage important dans la musique française. Expérimentateur de génie, parolier et compositeur de talent, et provocateur impénitent, l’homme aura marqué de son empreinte la chanson française comme peu d’autres. Que l’on soit en adoration pour son talent, ou que le personnage nous insupporte, force est de constater que quelques accords suffisent à nous faire reconnaître ses grandes œuvres. Doit-on rappeler les tubes que sont « le requiem pour un con », « Au armes etcetera », ou encore « Bonnie and Clyde » ? Tous nous savons les fredonner, et c’est là le tour de force du bonhomme : ancrer des mélodies dans l’intemporel, rendre inaltérables des chansons, chose que très peu d’artistes peuvent se vanter d’avoir fait.

Ecouter du Gainsbourg, c’est entrer dans un univers qui passe du sombre au lumineux en quelques accords. Savourer du Gainsbarre, c’est s’accoutumer avec des mots utilisés avec adresse et finesse, bien que le fond puisse être très brutal. On a souvent reproché à l’homme d’être un alcoolique, d’être systématiquement dégingandé au-delà du raisonnable, alors que sa musique l’est tout autant. Jamais en phase avec la mode, jamais en accord avec les poncifs, Gainsbourg nous a toujours servi des œuvres totalement décalées, dont beaucoup se sont inspirés pour tenter de le suivre, sans succès. Il a initié le mouvement au lieu d’être à la traîne, il a osé aller là où d’autres n’iront jamais, et c’est en ça qu’il fut impressionnant. Auditivement donc, Gainsbourg se savoure comme de la musique expérimentale, quelque chose de totalement inclassable et qui mérite un classement indépendant. D’autres firent du Gainsbarre, mais il n’y eut jamais qu’un seul Gainsbourg.

La provocation, c’était chez lui un art de vivre. D’autres usent et abusent des artifices des médias pour faire parler d’eux, alors que lui vivait sa vie comme il l’entendait, dans l’excès, dans la peur du lendemain, dans la torture d’une pensée allant trop vite pour lui-même. L’ivresse, le tabagisme, la voix si particulière, le visage marqué et marquant, le Serge s’est donné sans compter, quitte à y laisser son corps. Physiquement ruiné, il est resté lucide sur sa condition d’homme qui se voulait ordinaire, et dont le talent était extraordinaire. Initialement passionné par la peinture, c’est un peu par dépit (d’après une interview) qu’il est passé à la musique. Considérant la musique comme un art « mineur », il a affirmé n’être qu’un troubadour de plus… Ce qui, en soi, représentait une nouvelle provocation pour attaquer celles et ceux qui se prenaient trop au sérieux. L’artiste savait donc qu’il faut être humble pour être aimé, tout comme il faut être mégalomane pour être connu. Une ambiguïté que l’homme devra subir jusqu’à la fin, puisque c’est là qu’il vivra le meilleur comme le pire : la notoriété, face à l’envie d’être simplement quelqu’un d’anonyme, tout en aimant la foule et la scène. Il a souvent provoqué des crises de nerfs chez les animateurs de télévision, puisqu’il refusait de chanter en play-back. A contrario, il n’hésitait pas à se mettre au piano pour jouer quelques notes, montrer que la musique était son plaisir, et qu’il le partageait avec le public.

Sale ? Débraillé ? Laid ? Gainsbourg n’était rien de tout ceci. C’était, à mon sens, le symbole même de l’élégance à la française. En effet, derrière un physique peu avenant, il a su séduire les plus jolies femmes, être brillant par son talent compensant tout, à tel point qu’on peut parler de Gainsbarre l’élégant. Ses tenues étaient choisies, toujours propres (et non pas sales comme beaucoup supposaient), et il adorait mettre en scène sa vraie fausse déchéance. Le costume sur mesures, les chaussures de qualité sans chaussettes, Serge avait le don pour agacer les clichés, les écorcher, tout en sachant être irréprochable. Il a lancé bien des « modes », car, quelque part, savoir porter un vêtement froissé sans avoir l’air d’une cloche, c’est tout un art. Gainsbourg était donc une gravure de mode décalée, aussi décalée que l’était sa musique.

Et qu’en penser aujourd’hui ? Des artistes de hip-hop se sont emparés de ses œuvres pour en faire des bouts de leur musique. On a pondu des albums de reprises de ses chansons. On a même fait un film sur sa vie. Que penser de tout ceci ? Que les premiers respectent et honorent sa passion du bidouillage audio, que les seconds n’ont pas même réussi à atteindre sa cheville, et que le film me laisse sans opinion, faute de l’avoir vu pour m’en faire une idée juste et honnête. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas oublié Serge Gainsbourg, ceux qui l’ont connu de son vivant en gardent un souvenir ému, et que la nouvelle génération peut être encore en extase devant le génie musical, génie humble, agaçant, drôle, et souvent attendrissant.

La plus belle des anecdotes le concernant est pour moi une interview de PPDA, lors d’un 20H de TF1 : Serge était très malade, et sortait tout juste de l’hôpital. La campagne des dons pour les restos du cœur battait son plein, et le journaliste, maladroitement, lui en a parlé. Vexé, Serge a répondu qu’il était à l’hôpital, près de bouffer les pissenlits par la racine. Qu’a-t-il fait ? Il a tiré de sa poche un chéquier ressemblant plus à une boule de papier mâché qu’à autre chose. L’étalant sur le bord de la table du décor, il prit son temps pour bien remettre en état le chiffon. Puis, remplissant le chèque en grosses boucles et déliés artistiques, il détacha le chèque de don, et le tendit à PPDA en lui lançant « Comme ça tu pourras pas dire que Serge il a pas donné ! ». Provocation ? J’en doute, juste l’honnêteté d’un homme qui refusait qu’on lui fasse une leçon de morale concernant sa générosité. Merci Serge, merci d’avoir été tel que tu le voulais, sans être tributaire des autres, d’avoir été entier, en bien et en mal.

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