19 janvier 2011

La revanche des pauvres

Allez, un article un rien provocateur pour analyser la situation actuelle, histoire de faire grincer des dents les amateurs de ma mondialisation. A les écouter, mondialiser l’économie, c’est une chose légitime, efficace, et qui permet à tous de s’enrichir. Or, le constat est autrement plus sombre : au lieu d’enrichir toutes les nations, ce mécanisme économique n’aura eu pour vertu que de permettre l’enrichissement des gouvernements très riches, et des puissances militaires susceptibles de tirer parti de la situation. Ainsi, tant que le tout fonctionnait correctement, ce furent les USA et la Chine qui tirèrent réellement avantage de la mondialisation. En contrepartie, nous aurions pu espérer que les problèmes financiers soient partagés, de sorte à préserver toutes les nations participant à ce jeu. Il n’en fut rien : les dettes des uns devinrent les dettes de tous, et les bénéfices des autres ne furent pas pour autant partagés. Actuellement, la Chine, afin de sauvegarder ses clients, devient le premier créancier du monde, ceci en rachetant littéralement les dettes des états en faillite. Quel est le résultat ? C’est que la Chine détient une masse colossale d’actifs de la banque centrale américaine. Voyez-vous le problème ? Il est élémentaire : pouvez-vous faire la leçon économique à votre propre banquier, d’autant plus que vous lui devez de l’argent ? Cela semble improbable.

Les décennies ayant vu naître la mondialisation ont vu également naître les marchés mondiaux des produits alimentaires. En ne protégeant pas la production nationale, les états sont devenus des clients pour des nations émergeantes, en abusant du système ceci grâce à la spéculation et au chantage par le paiement. Dès lors, quand les produits extérieurs, plus compétitifs, sont venus étouffer les productions locales, nous avons vu l’effondrement de l’agriculture des états riches. Dans ce constat, ce sont les politiques de sauvegarde telles que les aides et autres compensations financières qui ont volé au secours des exploitants. Aujourd’hui, la situation est ahurissante : un agriculteur français ne peut réellement survivre que parce qu’il dispose d’aides de l’union européenne, ceci pour lui imposer des quotas de production ! Hé oui : on jettera du lait parce qu’il est plus intéressant de jeter que de vendre, ceci pour ne pas tuer le cours de la marchandise. En l’occurrence, cela ne semble pas foncièrement stupide, du moins tant que nous maintenons les prix comme nous le désirons : tant que nous pouvons nous approvisionner à des tarifs préférentiels, autant dire qu’il ne sera pas intéressant de produire localement.

Seulement, cette démarche a un prix exorbitant, à savoir notre indépendance alimentaire. Bien que cela soit favorable aux pays nécessitant l’injection de capitaux, les prix pratiqués restent finalement bas, ceci freinant l’évolution de ces nations. Plutôt que d’espérer les voir devenir des associés économiques sérieux, nous usons donc d’un double chantage pervers, à savoir à la fois entretenir leur économie, tout en faisant en sorte que celle-ci ne soit pas trop développée, pour ne pas en faire un concurrent potentiel. Ce n’est viable qu’à court terme, car techniquement, plus le cours de la marchandise sera bas, plus la tendance à la délocalisation sera forte. Or, à terme, cela engendrera nécessairement un monopole des produits importés, face aux produits locaux. Encore une fois, c’est une situation viable, tant que les produits importés le sont à bas prix. Dans cette optique, nombre de pays tels que le Brésil se plaignent aujourd’hui de ne pas avoir de possibilité de progrès économique, au titre que leurs exportations sont à des prix incapables d’élever le niveau de vie national.

Mais que va-t-il se passer le jour où l’équilibre sera rompu ? Quand les états supposés riches ne produiront plus suffisamment pour l’autosuffisance, quand ces pays exportateurs détiendront les clés du pouvoir par la nourriture, ce seront ces pays là qui dicteront la loi du marché. Que pourrons nous faire si, par exemple, l’union de ces pays producteurs décidait de doubler, tripler, voire quintupler le prix des ressources ? Rien. Nous serions alors des clients captifs, incapables de se retourner, à tel point que refuser d’acheter pourrait alors provoquer des famines ! Par analogie, observons la loi du marché du pétrole : jusqu’à la création de l’OPEP, le pétrole était une ressource peu chère, au tarif dicté par les acheteurs. Aujourd’hui, l’OPEP peut tout à fait faire trembler ses clients en décrétant soit de réduire les volumes de production (et donc augmenter artificiellement le prix de vente, à travers la spéculation), soit au contraire d’en réguler le prix par augmentation des quotas. Bien entendu, l’OPEP, ayant des intérêts complexes et délicats avec les grands consommateurs que sont les USA et l’Europe, cette marge de manœuvre est quelque peu réduite. Le pétrole peut, de plus, se stocker indéfiniment, tandis que les produits alimentaires, eux, ne peuvent l’être que sur de courtes durées. En admettant que les pays à forte production agraire s’unissaient, nous serions alors dans l’obligation d’acheter aux prix qu’ils dicteraient, et qui plus est de devoir subir ces tarifs pendant une longue période. On ne peut pas faire renaître une agriculture locale en quelques semaines, ou quelques mois. Ce genre de problème se gère alors sur le long terme, ceci permettant donc une capitalisation à outrance des pays supposés sans poids dans la mécanique mondiale. Comble de l’ironie : une fois ces capitaux amassés, ces pays les utiliseront forcément d’une pour se moderniser, deux pour investir. Ne serait-ce pas alors ironique de voir une entreprise bulgare s’offrir l’entreprise française qui était leur client ?

Quand on mondialise, on mondialise le potentiel économique, mais également le potentiel de réussite. Il est fort possible que nombre de pays sont dans une situation intolérable, car étant dans l’attente d’une croissance possible, croissance bloquée par des clients peu désireux de voir d’autres s’enrichir. La Chine est parmi ces pays, et nous assistons dorénavant à la prise de pouvoir sur l’économie mondiale par pays au régime totalitaire, et imposant de fait le silence diplomatique des états pris au piège de la dette. Pire encore : la Chine elle-même prend des risques énormes, au titre que sa croissance est encore très localisée. En l’espèce, la Chine assiste aux premières réclamations sociales de la part des salariés : augmentation de salaires (rapidement accordées pour que la production soit maintenue), embryons de critiques, renaissance de mouvements indépendantistes dans les régions laissées sur le carreau du progrès. A tout ceci s’ajoute enfin un vieillissement de la population Chinoise, ceci rendant précaire l’avenir du grand état. La croissance doit profiter au plus grand nombre, mais ce n’est hélas pas réellement le cas. Quid des risques de révolte ? Quid des aspirations démocratiques ? La Tunisie s’est effondrée quand la rue a réclamé du pain. La Chine pourrait suivre une voie proche à travers la rue réclamant de l’argent.

La révolte des petits contre les grands n’est donc pas une absurdité, encore moins un fantasme. De telles actions sont même, à mon sens, à espérer dans certains cas, à craindre dans d’autres. Que le monde comprenne que les bénéfices doivent se répartir à l’échelle du monde, ce serait une bonne leçon pour ceux qui pensent que l’argent est plus rentable que le travail. En revanche, une telle emprise sur le monde ne peut que faire craindre un silence des pays prisonniers envers les gouvernements de ceux qui détiennent finalement l’économie. L’assiette pèse plus lourd qu’une voiture, et ça, nous risquons de devoir manger la porcelaine de nos plats, faute de pain à mettre dedans. Des solutions ? Raisonner sur un protectionnisme pondéré, tout comme permettre la participation aux vrais bénéfices des pays producteurs sont deux pistes à réfléchir avec sérieux et prudence. Nous ne pouvons pas dire à ceux qui produisent qu’ils doivent vendre au prix que le client désire, pas plus que nous ne pouvons les autoriser à contrôler le marché intérieur. C’est ce qui est actuellement fait dans le textile et les technologies. Si nous laissons la situation dégénérer jusqu’à ce que l’alimentaire soit dans le même état, nous pourrions voir des pays riches être affamés, faute de pouvoir acheter les produits élémentaires. Le blé, à travers le manque de production, et la spéculation à outrance, a été l’instrument majeur des crises au Maghreb. A quand la même gabegie en France ?

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