26 janvier 2011

Le paradoxe économique

Après mûre réflexion (et non réflexion en allant droit dans le mur), j’ai tiré quelques conclusions très personnelles sur les raisonnements économiques du capitalisme, ainsi que sur les décalages concrets que l’on peut constater dans le fonctionnement de ce système. Bien qu’il soit pour tous évident que le capitalisme semble être le moins mauvais des systèmes, il s’avère que sa propre existence représente, à mon sens, une menace énorme pour la stabilité politique et sociale du monde. Le paradoxe peut être défini sous la forme d’une seule phrase : « Le pays qui s’enrichit grâce au capitalisme sera paradoxalement bien plus fragile que les pays exclus du système ». Ridicule ? De prime abord, il est certain qu’on pourrait supposer qu’un état riche ne devrait pas craindre sa propre richesse, et encore moins sa puissance dans le système mondial. Et pourtant, c’est cette puissance même qui le rend terriblement sensible aux soubresauts des marchés, et ce pour nombre de raisons différentes mais pourtant convergentes. Regardons les en les effleurant, car ce texte n’a pas pour vertu de tout détailler, pas plus que d’offrir de solutions exemplaires. Il a pour seule et unique raison d’être mon envie de synthétiser mes vues sur l’économie mondiale.

Commençons simple : les pays riches usent de l’économie de marché à travers les échanges commerciaux classiques, des effets de l’endettement et du crédit, ainsi que de la spéculation sur la valorisation des entreprises. De ces trois méthodes de gestion du capitalisme, il est à retenir qu’elles ne sont pas, en principe, concurrentes, mais plutôt associées pour que chaque structure puisse bénéficier des meilleurs avantages possibles, et ainsi tirer le meilleur parti du modèle économique s’appuyant sur le capital. D’un point de vue macro donc, il n’est pas nécessaire de s’en inquiéter. En revanche, au détail, les débordements peuvent mener à ce que les échecs d’une des trois racines du capitalisme aille gangrener les deux autres, et c’est là, à mon sens, le grand danger. Détaillons un peu plus…

En l’espèce, il y a donc : je produis, je vends ces produits avec marge, ou bien j’achète au meilleur prix les produits que je ne manufacture pas. Ces échanges dits légitimes sont normalement régis par la loi de l’offre et de la demande. Cela sous-entend que chaque échange est négocié, de sorte à ce que tous les opérateurs du marché (acheteurs et vendeurs) puissent tirer des bénéfices du commerce. Dans cette logique, nombre de sociétés rachètent les sous-traitants pour s’épargner le fait d’avoir une marge plus faible, vu que la différence est versée à une société tierce. Prenons un exemple : une société fabriquant du fromage vendra à un prix donné ses produits aux clients finaux. Elle achetait le lait à un producteur quelconque, imposant donc une réduction des revenus par redistribution de la marge. En rachetant le producteur, la société réduit donc ses frais, car en regroupant, des économies peuvent être aisément trouvées : répartition du personnel, suppression des postes en doublon, amélioration des méthodes de production de l’ancien sous-traitant, ou encore ajustements sur le reste du fichier client. Augmenter la facture du concurrent, tout en réduisant la sienne, c’est une stratégie qui peut fonctionner. Cependant, cela pose un problème évident : en cas de disparition de la concurrence, ceci à force de regroupements, où se trouve alors le juste prix ? Nous avons tous entendus parler des accords illicites entre opérateurs qui, plutôt que de réduire les marges, s’accordent pour que les tarifs faits aux clients soient toujours artificiellement trop élevés.
Il y a également la démarche inverse, à savoir de se départir au maximum des considérations de production, ceci en devenant le seul client pour chacune des entreprises sous-traitantes. L’idée est qu’on peut alors négocier au plus juste (voire à perte…) les tarifs, imposer des méthodes de production, tout en se servant du sous-traitant comme composant d’ajustement en cas de crise. Cruel, efficace, et surtout moins coûteux que de devoir gérer des métiers très différents.
Nous avons alors deux travers dangereux : le premier est que les tarifs ne sont donc plus régulés par le marché, mais soit par des ententes de corporations cherchant à tirer le plus de profit possible sur des marchés captifs (téléphonie, agroalimentaire), le second étant que les producteurs moins importants sont au mieux rachetés, au pire pressurés jusqu’à l’asphyxie. Dans ces conditions, chaque faillite d’un prestataire amène la corporation à en étouffer un nouveau, jusqu’au point de rupture où plus aucun sous-traitant compétent ne se présente sur le marché local. Cela mène donc, à terme, à la délocalisation, faute de trouver des entreprises susceptibles de répondre aux appels d’offre. Malheureusement, derrière cette excuse se cache aussi un fait élémentaire : quant bien même la prestation pourrait être assurée localement, son tarif serait de toute façon considéré comme inacceptable par corporation qui va, de fait, favoriser un choix délocalisé, choix dicté par la notion de coût, et bien sûr, de marge dégagée. Ce phénomène de destruction du tissu de production mène à des absurdités où un produit « local » disparaît face à un produit externe, de moins bonne qualité (puisque produit à moindre coût), ceci emprisonnant le pays appliquant cette logique dans un mécanisme de disparition progressive de son cœur économique. On bascule donc la richesse de production dans la richesse bancaire ou boursière, ceci en ne favorisant absolument pas le tissu social local.

L’endettement et le crédit font partie du second aspect du capitalisme : je te prête, avec intérêt, de l’argent, ceci afin de t’enrichir. En pratique, cela donne donc le pouvoir à des banques qui sélectionnent qui est susceptible de rembourser, et qui représente un risque trop important pour effectuer un prêt. De là, la logique serait de se servir du crédit comme d’un appui temporaire, afin de développer des activités, acquérir un bien, ou encore relancer une économie affaiblie. Malheureusement, le crédit est dangereux, car il est souvent utilisé pour se recouvrir lui-même. Explication : je suis endetté, et j’ai besoin de rembourser. Faute de capital, mais paraissant solvable, j’emprunte ailleurs, et je rembourse A avec le prêt contracté chez B…. Et ainsi de suite. Les états s’endettent donc en contractant des emprunts, ceci pour couvrir des dépenses supérieures aux revenus. Le cercle est vicieux : plus vous êtes endetté, plus vous empruntez, et donc plus vous vous endettez, ceci jusqu’à la faillite. Les crédits accordés aux USA, en Espagne ont été désastreux, car accordés à des personnes incapables de rembourser. Finalement, les banques récupérant leur argent à travers la saisie des biens, celles-ci se sont retrouvées avec un patrimoine immobilier, mais passablement invendable, puisque gigantesque. Les capitaux absents, supposés couvrir des emprunts, amènent donc les créditeurs à eux-mêmes s’endetter, avec l’espoir de recouvrir leur endettement lors des ventes. A terme, ces sociétés s’effondrent donc, à cause de l’enchaînement de dettes trop grosses pour être assumées. Les solutions applicables sont : l’annulation de la dette des prêteurs, ou alors le rachat de la dette. C’est par ce procédé que la Chine a acquis une bonne partie de la dette Américaine, et donc potentiellement pris le contrôle de son plus gros client.

Le troisième mécanisme connu est la spéculation boursière : les bourses définissent une valorisation des sociétés, valeurs qui peuvent alors s’échanger selon le principe de l’offre et de la demande. Cependant, les fondamentaux sont ébranlés par plusieurs actions délibérées : l’achat en masse, pour augmenter artificiellement le cours, ou au contraire la vente de masse, pour réduire la valeur unitaire des actions. De là, nombre de sociétés peuvent donc subir le contrecoup de la spéculation, à travers des interventions dangereuses sur le marché. La seconde démarche redoutable est la création de produits boursiers à risque, comme la capitalisation sous forme d’actions des dettes (subprimes). En revendant une partie de la dette regroupée, l’idée était donc de faire assumer au plus grand nombre l’impossibilité de remboursement des débiteurs. Malheureusement, l’insertion de ce produit à risque dans des portefeuilles supposés fiables a vu ces derniers perdre énormément de valeur, et donc emporter indirectement des valeurs fiables dans l’abîme.

Le vice est donc là :le crédit est excessif, on le met en bourse, la bourse subit l’échec de cette méthode, et par incidence directe les sociétés solides se voient privées tant du crédit nécessaire au développement, que des capitaux, puisque les banques cherchent alors récupérer un maximum d’argent auprès de leurs débiteurs. Nombre de sociétés pourtant viables et dégageant du bénéfice ont fait faillite, ceci par cessation de paiement. La banque, réclamant le remboursement de la dette, a mené ces entreprises dans le gouffre, perdant à la fois le prêt, mais également les capitaux de la société ainsi démolie. L’idée que les sociétés riches peuvent assumer ce genre de faillite globale est donc fausse : les pays à forte croissance cherchent systématiquement des débouchés pour leurs capitaux, et le fait d’enchaîner les nations endettés à travers le rachat des crédits, voire des entreprises en voie de disparition profitent non plus aux gros clients, mais aux nations trouvant ainsi de nouveaux débouchés financiers. Deux exemples notoires sont à présenter : la Chine s’achète la fidélité des pays industrialisés à travers le rachat des dettes (qui les sauve de la faillite nationale), et Mittal qui, par le jeu des rachats des sociétés menées à la mort économique à cause de la concurrence féroce (voire déloyale des pays du tiers monde), est devenu le premier groupe mondial de sidérurgie.

Concentrons nous sur Mittal. Cette entreprise a usé des différents aspects du capitalisme à outrance : délocalisation de la production dans un pays du tiers monde (Inde), capitalisation de la production utilisée pour le rachat des entreprises subissant la concurrence, usage du crédit pour la modernisation locale, puis internationale, usage de la bourse pour le rachat des concurrents, puis enfin maîtrise du marché par position dominante. Concrètement, Mittal a donc profité de l’appât exagéré du gain des investisseurs et autres financiers, su s’approprier les centres de production pourtant viables, mais délaissés car considérés comme trop coûteux par les actionnaires (trop de coûts = baisse des dividendes, soit concrètement une baisse des revenus de l’argent sur l’argent !), et en conséquence rendre captif les marchés mondiaux de l’acier. Cette entreprise est donc symbolique de la fragilité paradoxale des grandes nations riches : faute de contrôle, à force d’abus, celles-ci deviennent les clientes et détenues des anciennes nations « faibles » ; pour peu que ces mécanismes se voient appliqués dans d’autres domaines, il est fort à craindre que nombre de grandes entreprises autrefois vivaces soient peu à peu rachetées par les esclaves d’hier. La Chine pourrait tout à fait acquérir patiemment des parts dans les Nestlé et consoeurs, de sorte à nous imposer leur production qui, à terme, pourrait se révéler aussi qualitative que la nôtre. A aujourd’hui, c’est la réduction drastique des coûts et des marges qui font que les pays pauvres produisent des références à qualité moindre. Avec l’apport massif de capitaux, cela pourrait tout à fait changer, ceci amenant donc des produits de bonne qualité, et donc autrement plus difficiles à concurrencer.

Pour l’heure, nombre d’entreprises envisagent la relocalisation, ceci parce qu’il s’avère de moins en moins rentable de produire à l’étranger. Ce phénomène pourrait aussi bien sauver les industries locales, que transformer le pays en nouveau tiers monde, au titre que si l’industriel revient sur ses terres, c’est que les coûts locaux sont forcément moins élevés qu’à l’étranger. Serait-ce donc l’inversion des rapports de force, où le pauvre d’hier est le riche de demain ? Nous pouvons tout à fait nous interroger sur l’opportunité qu’ont les entreprises à laisser faire le délabrement local, au lieu d’agir, et ce dès maintenant, pour préserver la production nationale. La réflexion doit être absolument menée tant par les fabricants que par les états, au titre que les uns dépendent nécessairement des autres, tant pour les aspects financiers que politiques.

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