14 février 2011

En transition

Tout comme une bonne majorité de gens, je n’ai pas vu venir les révoltes et révolutions qui sont parvenues à destituer les deux dictatures qu’étaient la Tunisie et l’Egypte. Dans les deux cas, je me suis posé la question de savoir si la transition pourrait se faire de manière raisonnée, ou au contraire si le pouvoir serait, ou pas, brigué soit par l’armée, soit par des partis fondamentalistes. Là, l’Egypte est parvenue à expulser Moubarak, et c’est l’armée qui s’est mise en place pour gérer l’espoir national de démocratie. Bien entendu, tout le monde espère que cela va tenir sur la durée, mais nombre de questions me semblent essentielles à observer, ne serait-ce que parce qu’un changement immédiat et total de régime est impossible.

Tout d’abord, il est indispensable de se souvenir que ce n’est pas le peuple qui a appelé l’armée à son secours, mais que c’est l’armée elle-même qui a bougé. Les détails exacts me semblent encore flous, je ne me permettrai donc pas de présumer du comment, du moins pour le moment. En revanche, ce qui est certain, c’est que l’armée a agi contre les soutiens de Moubarak durant les émeutes, tout comme elle s’est posée en garante de la sécurité nationale. Cela va à l’encontre des aspirations des frères musulmans qui, eux, ont pris plus ou moins le contrôle de la rue. Aujourd’hui, le Caire est une ville où règne une ambiance étrange, oscillant entre le bonheur de voir le despote partir du pouvoir, et l’inquiétude, car les frères musulmans assurent en ce moment le service d’ordre, la police étant absente des rues. J’ignore concrètement comment cela va se prolonger, car il y a encore des manifestations, et les militaires menacent de procéder à des arrestations si celles-ci ne cessent pas dans les plus brefs délais. La question concrète du « qui contrôle » est donc bien d’actualité, et cela pourrait très vite mal tourner, ne serait-ce que parce que les militaires sont loin d’être des symboles de paix et de démocratie.

Le second aspect inquiétant est que la prise de pouvoir par une armée peut être le révélateur soit d’une volonté réelle de protection de la population, soit être l’expression d’une ambition personnelle d’un chef. En effet, la destitution de Moubarak a été suivie de décisions politiques majeures telles que l’interruption de la constitution, ainsi que le démantèlement des gouvernants. Dans ces conditions, l’armée a les mains libres pour instaurer une dictature. D’un point de vue purement politique, ces actes sont logiques, car la constitution ne garantissait justement pas les libertés fondamentales au peuple. Cependant, s’en départir totalement n’ajoute pas la moindre perspective de liberté pour autant. On ne peut donc pas certifier qu’une telle mise à plat des lois n’engendrera pas l’apparition d’un dictateur, d’autant plus si celui-ci dispose de l’appui de ses subordonnés. A ce jour, l’armée semble plutôt prête à soutenir l’élan démocratique, et j’espère que cela conduira effectivement tant à des élections libres, qu’à une prise de conscience collective que la responsabilité d’une révolution incombe à tout le peuple, et pas à quelques chefs supposés représenter la masse.

Le troisième aspect inquiétant est plus profond. On ne déboulonne qu’un chef, voire une assemblée nationale, mais ce n’est pas pour autant qu’on supprime tous les anciens rouages du pouvoir. A l’instar de la disparition de Vichy, et du retour de la quatrième république, les purges opérées dans les administrations n’ont été que partielles, voire pire encore, avec le maintien en place de collaborateurs actifs avec le pouvoir nazi. Dans ces conditions, difficile de croire que les anciens fonctionnaires privilégiés vont devenir tout à coup actifs dans la démocratie, notamment de par leur influence dans les mécanismes de l’état. Une phrase est très signifiante : « Quand un président part, les fonctionnaires restent ». C’est supposé définir que l’obédience politique des fonctionnaires ne doit pas influencer ni leur attitude, ni leur travail. Or, dans un état dictatorial, un fonctionnaire zélé est forcément actif dans l’activité antidémocratique. Peut-on donc leur faire confiance pour assurer une activité sérieuse, au service des gens, sans trace des anciennes attitudes et procédures qui faisaient de l’Egypte une dictature ? Toute la question se posera là, et tous les pays ayant opérée une transition vers la démocratie furent confrontés à de tels problèmes.

Enfin, le dernier écueil est probablement le plus difficile à outrepasser. Durant les années Moubarak, le pouvoir s’est entêté à interdire les partis d’opposition. De là, ce fut donc l’activité souterraine qui fut privilégiée pour leur permettre de survivre à la répression. Malheureusement, qui dit activité illégale dit souvent radicalisation, et les frères musulmans s’avère être le parti d’opposition le plus en vue. Bien qu’interdit, son action est visible tant dans le social (financement de dispensaires, fourniture gratuite de médicaments, formation religieuse et politique dans les mosquées…), que dans le politique. Les autres partis, par contre, refusant l’action trop extrémistes, sont donc condamnés à devoir faire très rapidement preuve d’agressivité dans leur communication, afin de redevenir visibles sur la scène politique. Mais auront-ils le temps ? On parle d’une échéance de six mois, et cela paraît particulièrement court pour que de petits partis puissent reprendre une place légitime dans l’esprit des gens. La répression a pour principal effet de disloquer les petites structures, tout en s’assurant, en cas de retour à la démocratie, une présence trop forte des partis radicaux. Tout va donc se jouer non pas sur la liberté de choix dans le vote, mais sur la présence de bulletins autres que ceux des frères musulmans. Le plus dangereux sera donc si un parti radical prend le pouvoir par les urnes, car non content d’être extrême dans son fonctionnement, il aura la légitimité d’action grâce aux urnes. Il ne faut surtout pas oublier le passé de l’Europe, avec le fascisme Italien et le nazisme Allemand, tous deux parvenus au pouvoir de manière totalement démocratique.

On se réjouit à raison de la chute des despotes, il ne faut en revanche surtout pas pavoiser, car il suffirait d’un rien pour que la situation empire très rapidement. Le pouvoir attire et corrompt, ce qui en soi pourrait mener l’armée à être qu’une autre forme de dictature en Egypte. A l’autre bout du spectre, la démocratie, une présidentielle anticipée pourrait tout autant mener au despotisme d’état, via l’élection d’un président issu d’un parti radical. Le soutien des partis multiples et trop anonymes serait, à mon sens, une priorité absolue de la communauté internationale. Charge à nous d’offrir une aide tant logistique que politique à tous les partis, de sorte à ce que le débat de fond soit sain, et que le peuple Egyptien ait accès à un vrai choix, et pas à un choix fait par défaut de concurrents crédibles.


EDIT : Merci à celle qui m'a précisé mon erreur... pas le Maroc mais la Tunisie! Va falloir que j'envisage de prendre de grosses vacances moi!

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