02 février 2011

Le téléphone

J’ai, par le passé, évoqué le fameux téléphone rouge qui servait aux communications entre le Kremlin et la Maison Blanche, ceci à la grande époque révolue de la guerre froide. Objet symbolique s’il en est, le téléphone a eu son heure de gloire au cinéma, et justement dans le ton rouge sang du plus bel effet. Cependant, nous autres les civils, nous nous sommes équipés de ces machines à cadrans dans des teintes plus neutres comme le gris ou le noir, peut-être parce que nous ne sommes pas des personnages importants, et parce que le rouge n’est pas quelque chose d’aisé à intégrer dans un intérieur ordinaire. D’ailleurs, je me demande si qui que ce soit ait jamais eu un téléphone rouge chez lui. Enfin bref, que ce soit un chef d’état, un fonctionnaire de police, ou encore l’un d’entres nous, le téléphone a révolutionné notre façon d’appréhender la communication.

Notons d’abord que son invention n’est pas récente. Entre les premiers essais et aujourd’hui, plus d’un siècle nous contemple. Nous avons su passer du filaire à manivelle, à l’appareil sans fil et à clavier, ce qui en soit représente une véritable avancée technologique. Bien entendu, il ne viendrait à l’esprit de personne de chercher la dite manivelle de charge, ou d’espérer avoir une opératrice pour demander « Clignancourt 13 35 ». Mais n’est-ce pas là la fin d’une forme de charme désuet ? Je trouve presque dommage la disparition de l’opératrice, au titre qu’elle humanisait un peu l’inévitable attente de son correspondant. Et puis, mine de rien, cela donnait du boulot à énormément de gens. Bon, oui, il est vrai que retenir un numéro et le taper sans contrainte sur n’importe quel terminal est plus pratique, mais tout de même, écouter la voix suave d’une jeunette… Je m’égare. Bref, nous avons modernisés notre manière d’envisager la téléphonie, et celle-ci nous rend énormément plus de services qu’avant : fax, minitel, informatique à travers Internet, le signal d’appel, les répondeurs, toutes ces innovations sont venues changer notre abord à la communication vocale !

Cependant, à y regarder de plus près, la téléphonie a aussi changé notre abord à la société. En effet, avoir un numéro, c’est être joignable. De fait, plus d’excuse potable pour dire « je n’étais pas au courant », puisqu’un coup de fil est supposé faire foi pour une prise de rendez-vous. De là, ce fut donc la mort du petit mensonge confortable, le refus de décrocher entraînant un harcèlement sonore, à tel point qu’on finit par soulever le combiné pour avoir la paix. Ce qui est encore plus redoutable, c’est que les appareils modernes présentent le numéro de l’appelant ! C’est pervers : si vous savez qui c’est, vous pouvez envisager de jouer la sourde oreille, or, la cacophonie de votre téléphone sera si pénible que vous cèderez. Et que dire de ceux qui camouflent le numéro ? C’est encore plus vicieux : vous ne savez pas qui appelle (comme dans le temps), et au surplus vous vous faites des idées. « La police ? Les pompiers ? Quelque chose d’important ? ». Hé non, c’est votre insupportable petit cousin qui, pour s’assurer votre décroché prompt de combiné, se fera un malin plaisir de camoufler son identité. Haïssable !

Le bon vieux téléphone a d’autres tares congénitales absolument intolérables. Que faire avec un interlocuteur bavard qui ne vous lâche pas une heure durant ? Comment couper court à une conversation pénible avec un parent ? Comment s’affranchir du colporteur qui, sous couvert de vous offrir un set de couteaux, tente de vous caser une cuisine hors de prix ? Certains ont trouvé une parade que trop temporaire : le téléphone mobile. Malheureusement, prétendre à une rupture réseau, ou à une panne de batterie ne fonctionne qu’un temps. Tôt ou tard, vous avez alors des comptes à rendre, notamment sur la fiabilité douteuse de votre équipement. On saura alors vous conseiller de vous offrir le dernier cri, le bidule qui fait tout (sauf l’essentiel, à savoir le café et briquet pour ma part), et dont vous n’aurez jamais qu’un usage très limité. C’est ainsi : à l’ère de la communication, mettre un terme à celle-ci est alors considéré comme une impolitesse. Et le plus agaçant, c’est que vous êtes joignable partout ! Plus de paix ni aux toilettes, ni en voiture, pas plus que chez des amis/maîtresses/famille (rayez les mentions inutiles). Hé non : où que vous soyez, vous devez communiquer.

Finalement, tenir ces damnés appareils hors fonction, cela devient aujourd’hui salutaire. Par le passé, le téléphone était cher, et donc les gens prenaient soin à ne pas trop parler ni trop appeler ? Là ? Avec des offres illimitées, nous voici condamnés au supplice de la parlotte, au lieu de se retrouver autour d’un café, d’aller déjeuner. Le téléphone est supposé permettre la communication, et le voici le maître de la fracture sociale. Est-ce que je déteste le téléphone ? Non, j’ai juste en horreur qu’on me tienne la jambe pour rien ! Allez hop, tais toi le bidule en plastoc, je veux la paix !

Et merde, répondeur plein !

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