28 septembre 2011

Evanescent

Si vous fermez les yeux, que vous laissez votre esprit d’emplir de souvenirs et d’émotions, vous pouvez revivre, d’une certaine façon, certains évènements de votre existence. Le souvenir, moment magique où l’on s’autorise au rêve éveillé, a ce pouvoir étrange de nous permettre de ressentir à nouveau certaines émotions qu’on a souvent en soi, et qu’on fait taire, sous prétexte qu’elles peuvent être gênantes, ou qu’elles peuvent même infléchir le cours de nos vies. Prenez ces souvenirs d’amours passés, ces situations où vous enlaciez quelqu’un d’autre que l’être qui fait dorénavant partie de votre vie, et interrogez vous, comme moi, sur la valeur de ces évènements. Sont-ils ce miel délicieux et fin qui font qu’on devient nostalgiques, ou bien sont-ils un poison âpre, une sorte de dégradation lente et inexorable de nos sentiments ?

On a beau dire et faire, le présent, tout comme le futur, se construit non seulement sur les faits du moment, mais aussi et surtout sur un passé, qu’il soit bon ou mauvais. Telle une plante s’enracinant dans une terre meuble, la vie, elle aussi, se nourrit des choses aujourd’hui décomposées, et qui servent de terreau aux feuilles, aux fleurs, au tronc qui sont sensés s’élancer vers l’avenir. Cependant, l’aigreur et l’amertume font jaunir nos plus belles intentions, comme si ces deux sentiments n’avaient pour seul pouvoir que d’anéantir les plus beaux espoirs, les plus belles choses que nous portons en chacun de nous. Et ce n’est pas peine de faire des efforts, de vouloir étouffer les pires errances, de vouloir « oublier » tout ce qui a pu, un jour, nous être néfaste. Les mauvaises expériences rendent méfiant, les mauvaises personnes deviennent souvent ce que nous craignons le plus, à savoir une sorte de miroir déformant où tout le monde serait tout aussi fondamentalement mauvais ou cruel. Or, il n’en est rien. Ce n’est pas une seule personne qui fonde l’humanité, c’est l’ensemble des différences qui font une unité, et non l’inverse.

L’improbable chance d’aimer à nouveau est bien souvent douloureuse, car la crainte de réitérer les mêmes souffrances, de revoir le même passé se font plus présentes. On peut aller jusqu’à repousser la main tendue, refuser la chance, de crainte d’être à nouveau déçu, blessé, mutilé par les remords et les regrets. Est-ce là une attitude normale ? On ne s’affranchit jamais réellement de la douleur, on ne fait que la soigner jusqu’à ce qu’elle devienne anodine, ordinaire, un peu comme un accroc à un pantalon qu’on apprécie pourtant plus que les autres. Ce n’est alors pas une raison suffisante pour repousser l’espoir avec virulence, quitte à le regretter ultérieurement. Fuir, c’est une lâcheté courante, à tel point que nombre de destinées sont brisées à cause de la peur, et non de l’échec lui-même. On a peur d’échouer, et paradoxalement on choisit alors l’échec… Comme si assumer volontairement l’échec pouvait nous épargner les larmes et les déceptions !

L’homme est un être tourmenté, souvent perdu dans les limbes de ses propres doutes. Les émotions, comme autant de nuages et de nébuleuses de brouillard, ont cette faculté atroce de déformer, voire même occulter toutes les lumières qui peuvent se présenter sur la courte route de la vie. Alors, nous errons, nous avançons sans visibilité, sans courage, simplement la main tendue devant soi, le cœur chargé de craintes et d’inquiétudes, au lieu de faire simplement un pas devant l’autre, avec la seule détermination nécessaire, à savoir celle qu’il faut vivre, malgré tout, pardessus tout, avec la seule certitude que notre existence a une fin, et qu’on se doit donc de faire pour le mieux avant de passer à trépas. Ce n’est pas au crépuscule qu’on apprécie la chaleur du soleil, pas plus que c’est sous la neige qu’on découvre l’été. C’est chaque seconde, chaque instant qui doit compter, même si des fantômes dansent devant nous, même si les visages familiers d’hier sont aujourd’hui des spectres qui hantent notre quotidien. Pas à pas, jour après jour. Les certitudes ne sont que temporaires, elles naissent dans la facilité, et elles meurent dans l’indifférence. Ce que nous croyions vrai hier n’est plus aujourd’hui, et demain sera source d’autres convictions. La seule chose indispensable alors, c’est de se souvenir de ce qui nous fait avancer… Et de s’y tenir, en serrant parfois les dents, en mordant sans relâche le mors amer, pour qu’un jour on puisse le recracher en se sentant fier d’avoir finalement tiré le poids de notre existence.

Vivre. Ce n’est qu’un mot, une conviction personnelle pour s’assurer de notre propre existence. « Je pense, donc je suis », n’est qu’une forme d’autosatisfaction, ou alors de placebo contre la peur de n’être rien. Nous ne sommes pas que des formes évanescentes, des spectres qui se croisent sans jamais se toucher. Nous sommes cette douce solidité de la Vérité, la Vérité fondamentale : nous vivons, et c’est déjà pas si mal. Alors, si l’on vous reproche d’être, de vivre, reprochez à l’autre de ne pas être Vérité, car c’est mentir à soi et aux autres que de vouloir donner des leçons. Tous, faillibles, frêles, images temporaires et souffrant du passage de l’éternité, nous devrions apprendre que c’est à nous même que nous devrions donner des cours, et non aux autres. La prétention du savoir, l’impérieux désir d’être moralisateur n’amène que déception et solitude. Partagez, apprenez des autres, tout comme vous pouvez leur apprendre de vous. C’est ça… Vivre. Alors, vivez, sans relâche, sans doute, sans peur, car même si la Mort vous rattrape, comme elle me rattrapera un jour, vous pourrez lui sourire en lui annonçant « Je pars, mais le cœur empli de souvenirs, de Vies, d’existences, de Vérités. »

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