19 septembre 2011

Un univers de paradoxes

Nous nous interrogeons constamment, et avec une sincère intensité, sur le devenir de l’humanité. Suite à des progrès techniques très rapides, et face à un monde interconnecté à outrance, la notion d’humanité semble quelque peu mise à mal, à tel point que le concept de « monde virtuel » n’est plus un fantasme d’auteur de SF. La majorité des idées conçues, il y a de cela des décennies, sont dorénavant réalités : visiophonie, informatique omnipotente et omniprésente, dématérialisation de la connaissance, et même la mise en numérique des relations humaines font partie de notre quotidien. Discuter avec des inconnus qu’on ne croisera jamais ailleurs que derrière un écran, ne plus se déplacer dans une boutique pour faire un achat, ces habitudes modernes étaient, il y a de cela une décennie, de la quasi science-fiction pour la majorité des citoyens du monde. Dorénavant, il n’y aura plus d’échappatoire : notre monde sera numérique, ou il ne sera pas.

Aussi enrichissante que puisse sembler être cette expérience de la fusion entre le réel et le virtuel, nous ne pouvons constater nombre de paradoxes liés à la nature même de l’être humain. Trop de connexion rend les gens tributaires d’objets et de technologies, à tel point que les en priver peut les rendre aigris, inquiets, tout du moins stressés. C’en est terrifiant : qui n’a pas remarqué l’acharnement compulsif des passants à observer à scruter des fils Facebook, ou ne serait-ce que jouer sur des équipements mobiles ? L’interaction entre le virtuel et notre monde est bien palpable, et nul ne peut plus nier les impacts d’un monde sur l’autre. Le virtuel sert dorénavant des causes politiques (communication lors de révolution, vidéos d’évènements majeurs…), et réciproquement le réel se voit influencé par des mouvances exploitant à fond les capacités du virtuel (création de réseaux sociaux, partage de l’information, distribution à grande échelle de documents…). Et pourtant, paradoxalement, le niveau de confiance qu’ont les gens dans le virtuel semble être en perte de vitesse : crainte du piratage, inquiétude face aux virus ou au vol d’informations personnelles, doutes sur la véracité des faits énoncés sur la toile… L’homme est donc de plus en plus connecté, et paradoxalement de moins en moins confiant dans la nébuleuse qui le tient comme étant un nœud parmi tant d’autres.

Au surplus, ce ne sont pas que les groupes de pensées qui sont impactés par ces changements. Les individualités, les personnalités subissent le même genre de mutations, avec les travers que cela engendre. L’addiction au numérique, révélée au monde dans les jeux vidéos, la fragilité des gens face aux agressions « virtuelles » (insultes, dénigrement, diffamation…), tout ceci révèle une extrême dangerosité des interactions de l’individu avec son monde virtuel. Jusqu’à il y a peu de temps, la toile était présentée comme un monde de liberté, de culture, d’informations sans frontière où chacun pouvait créer une culture participative, en lieu et place de la culture passive issue de la presse et de la télévision. Or, avec le temps, la démocratisation de l’informatique, liée aux campagnes médiatiques supposées nous intéresser à ce monde sans physique, créent à présent un retour quelque peu inquiétant vers des médias à sens unique. Les forums, tout comme les sites personnels, subissent, eux aussi, l’excès de libertés du passé, à tel point que rares sont les journaux qui laissent encore la parole à leurs lecteurs. Quoi en penser ? Que l’individu qui se réfugiait dans le virtuel se sent aujourd’hui scruté, traqué, revendu telle une marchandise. Un clic de souris fait de chacun de nous un consommateur potentiel, et, par le truchement des publicités affichées un peu partout, par l’adjonction de sondages, voire même par l’espionnage de nos données personnelles sur nos historiques de surf, nous sommes des valeurs commerciales. Le trafic de personnes se revend, le moindre espace en pixels se négocie, ce qui sous-entend donc que l’individu est encore plus ciblé, encore plus traqué. D’un monde libre et égalitaire, du moins dans le virtuel, nous sommes à présent dans un monde suspicion, où des lois supposées protéger des intérêts industriels et commerciaux autorisent la traque virtuelle de monsieur tout le monde. Pire encore, c’est une traque systématique, sans ciblage, telle une rafle mondiale menée avec l’assentiment des assemblées et autres créateurs de lois. Qu’est-ce que l’individu alors ? Un pion, pas une entité pensante, juste une adresse, un numéro de série, personne, un grain de sable dans un sablier gigantesque où seule la masse pèse, et où l’individu ne représente rien.

Certains se complaisent dans cette sécurité où des autorités supérieures font de notre monde virtuelle une prison encore plus étriquée que les pires dictatures réelles, où le droit de penser est soumis à un droit de regard inquisiteur, où la culture est soumise au copyright, où l’information est propriété de multinationales peu enclines à les partager avec le monde entier. De toile délocalisant l’intelligence à la périphérie (c’est-à-dire un réseau informatique pouvant se passer des gros serveurs), nous sommes encore à une structure centrée sur des services omniprésents, envahissants (comme Google qui détient des quantités astronomiques d’informations, et qui s’offre le luxe de s’imposer dans les machines via leur fameuse barre de recherche), et surtout dont nous sommes tributaires. J’ai une énorme inquiétude, c’est celle de voir un jour la toile devenir une sorte d’aquarium où nous autres, internautes, serions des poissons nourris d’informations et de données selon le bon vouloir de quelques magnats de l’information. Et c’est, quelque part, déjà le cas tant les groupes d’échelles mondiales détiennent déjà les cordons du réseau : opérateurs capables de nous espionner et de nous dénoncer à des autorités (au lieu d’avoir un rôle de neutralité absolue comme en téléphonie), sites et structures purement commerciales possédant notre vie virtuelle et réelle (Google via les mails, Facebook via le réseau social…), ces différentes structures pourraient donc dicter des lois terrifiantes, donner nos données à des états sans scrupule, voire même prêter assistance à ces dits dictatures pour aider à la traque virtuelle des opposants (et ce cas n’a rien de virtuel, comme en Chine par exemple, où yahoo a déjà été épinglé à plusieurs reprises pour sa participation complaisante à la chasse des dissidents).

Il faut absolument se demander dans quelle mesure nous pouvons accepter cela. Sommes-nous donc de ceux qui vont laisser la toile devenir un marché, au lieu d’un lieu de culture ? Va-t-on voir la toile devenir une tour de Babel qui, parce qu’elle aura osé chercher l’indépendance et l’omniscience, s’effondrera sur elle-même pour devenir un simple esclave des marchés ? Pourquoi laisser les gouvernants imposer des lois sans légitimité morale, pourquoi leur donner le pouvoir de faire de nous des « coupables potentiels », alors qu’un des fondamentaux de la loi est tout le contraire, à savoir « Innocent jusqu’à preuve du contraire ».
Il faut également ne pas se restreindre dans la réflexion vis-à-vis de notre vie virtuelle, à savoir ne regarder que le côté ludique de la chose. Les partis politiques, tous autant qu’ils sont, sont dorénavant visibles sur la toile, et n’hésitent pas, en outre, à se servir de ce média numérique. Alors pourquoi rares sont ceux qui parlent du virtuel dans leur programme ? Pourquoi ne regarde-t-on pas le réseau tel qu’il est, à savoir un extension riche et complexe de notre vie réelle ? La liberté d’expression est présente tant par la voix, que par l’écrit dans le monde virtuel, mais aucun parti ne semble vouloir s’inquiéter de ce fait, à tel point que rares sont les députés, élus locaux, ou encore sénateurs, qui comprennent tout l’enjeu que représente l’avenir de la toile pour tout le monde. A prendre la question à la légère, ou au contraire en faire une question éminemment politique (comme HADOPI ou LOPPSI), nous autres, citoyens, risquons d’y perdre bien plus qu’une simple connexion ADSL déconnectée pour de soi-disant faits de piratages.

La solution ? si vous êtes actifs en politique, si vous connaissez vos élus locaux, si vous les côtoyez, sensibilisez les sur l’importance d’être critique, constructif, et prudent concernant la toile. Laisser trop de libertés au législateur pour en faire un univers fermé et policé, c’est tolérer la censure, et par extension de permettre de bafouer les fondamentaux de la république. A nous tous d’agir, de faire circuler l’information, de ne pas laisser les gens dans l’ignorance crasse qui semble arranger les gouvernants. Il en va de leurs libertés individuelles. Faites circuler la culture, la réalité, étayez vos critiques, discutez en, ne vous laissez pas impressionner par le duel entre un David que nous sommes à titre individuel, et le Goliath, qu’il soit politique ou médiatique. La somme des individualités fait un peuple, et c’est par et pour le peuple qu’un gouvernement existe.

Votez, luttez, défendez vos idées. Qu’elles soient contraires aux miennes, qu’elles soient même dérangeantes selon mon échelle de valeurs, je préfère quelqu’un qui exprime ses idées à quelqu’un se contentant d’observer, dans la docile indolence d’un attentisme confortable. Défendez vos droits, sous peine de devoir ensuite vous battre pour les reprendre.

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