07 novembre 2011

De la colère à la fureur

J’arrête immédiatement toute tentative déplacée visant à analyser le titre comme étant un jeu de mots quelconque. Je suis réellement furieux, hors de moi, à tel point que c’est avec aigreur que je rédige ce billet. J’ai, ces derniers temps, l’impression que j’alerte sur de nombreux risques concernant le virtuel, que cela fait sourire, puis qu’ensuite la réalité rattrape mes pires craintes. Et pourtant, je suis le premier à affirmer que je préfèrerais n’être un oracle aveugle, qui aurait pour principal défaut de se tromper. Cependant, les évènements ont la fâcheuse et désagréable tendance à me conforter dans mes analyses, et pour tout dire, cela me met extrêmement en colère.

Prenons un peu ce que je disais concernant le piratage des Anonymous (ou « anons » pour ceux qui voient en eux des héros de BD) : j’avais clamé haut et fort qu’il s’agissait là d’un déni de liberté, de démocratie que de s’octroyer tous les droits, de jouer du terrorisme virtuel pour se faire justice. On m’avait alors balancé au visage qu’ils soutenaient une cause juste, à savoir la défense des enfants face aux réseaux de pédophilie. Usé par la polémique, effaré par l’inconscience chronique de mes interlocuteurs, j’avais fini par leur laisser la parole, ceci afin qu’ils se rendent compte, à terme, de l’erreur monumentale qu’il y a à soutenir une « justice » expéditive. En substance, j’avais sans relâche réitéré que le piratage était un acte terroriste, et qu’on aurait le droit, tôt ou tard, à des attaques équivalentes, mais pour des causes nous semblant moins admirables…

Et le temps m’a, hélas, donné raison.

Charlie hebdo, journal satirique par excellence, a eu le droit à une double agression : physique, par l’incendie de leurs locaux (on parle d’un coktail molotov), et la destruction de leur site internet à travers un piratage mené par des hackers d’origine Turque. Résultat des courses ? Une rédaction réduite en cendres, et un site démoli et pratiquement détruit. Pourquoi ? Parce que le journal a eu l’idée de mettre en une affiche provocante à propos du prophète Mahomet (voyez ci-dessous l’image en question).

Alors, déjà interrogeons nous sur le fond de la question : est-ce normal d’attaquer un journal de la sorte ? Est-ce légitime d’incendier un média, et de détruire un moyen d’expression ? La réponse est sans équivoque : NON. Il n’y a pas la moindre excuse à ce sujet. Je reviendrai un peu plus tard sur mon opinion concernant ce dessin et le titre du journal, mais pour autant, je ne peux pas cautionner le vandalisme, pas plus que les menaces physiques subies par le journal. Et c’est là que je suis particulièrement furieux : autant, la masse s’est blottie derrière la « bonne conscience » derrière les Anonymous, autant, là, personne ne semble réellement inquiet face à ces actes. C’est quoi la différence ? Est-ce moins intolérable parce que la cible nous semble moralement acceptable ? Je conteste ! A partir du moment où l’on accepte tacitement la justice expéditive, on ne peut plus distinguer une « bonne » d’une « mauvaise cause ». Il n’y a aucune cause qui légitime d’agir hors d’un cadre légal, d’autant plus quand on vit dans un état de droits. La résistance face à un occupant, face à une armée, c’est un tout autre cadre, à savoir un cadre militaire et militant, et pas des actions s’adossant à l’éthique. Lever le fusil contre un ennemi, ça n’est pas assimilable à la prétention de se vouloir justicier ! Je ne peux, et ne pourrai jamais cautionner ce genre d’actes, surtout s’ils visent à faire taire des médias.

Ma fureur est hors de contrôle. J’ai vraiment une colère noire contre cet acte de violence contre le journal, d’autant plus que l’hébergeur joue dorénavant les lâches en refusant de maintenir le service au journal. En gros (pour les non avertis), un hébergeur, c’est la société qui loue des espaces de stockage pour les mettre à disposition sur le net. Si l’on caricature, c’est un peu comme une « chaîne » de télévision qui diffuserait du contenu pour une société de production. Sans hébergeur (sauf à s’héberger soi-même), un site n’existe plus. Donc, en gros, l’hébergeur a cédé à la peur et aux pressions en refusant de maintenir le site sur la toile ! Ca, c’est le début de la collaboration passive, la fin du droit à la parole, et surtout la preuve que la peur gouverne ce monde. J’en suis ulcéré. C’est à vomir ! Quel est ce monde où, quand on s’exprime, on doit avoir peur de ses opinions ? Le plus important, c’est de les assumer, non ?

Sur le fond de la question concernant l’image elle-même, et le côté outrageant concernant les musulmans, je peux sans difficulté comprendre que certains soient scandalisés. Au surplus, je ne doute pas qu’on puisse ne pas tolérer une forme d’insulte déguisée dans une foi. Personnellement, je ne suis pas un amateur de ce genre de dessins, parce qu’ils mettent sans distinction tous les croyants, qu’ils soient bons ou mauvais. Pardessus le marché, l’islam interdit l’idolâtrie, à savoir la représentation de personnages sous la forme de dessins (il n’y a pas la moindre représentation du prophète dans les mosquées). C’est une indignation qu’on peut qualifier de « légitime » (toute proportion gardée) qui peut être exprimée par certains… Mais cela ne saurait être une raison valable et acceptable pour incendier un journal ! L’autodafé était un acte commun dans nombre de régimes totalitaires, et ce n’est pas acceptable de revoir cette méthode dans notre monde. J’aurais été autrement moins en colère s’il y avait eu une plainte contre le journal, un procès, enfin bref, une défense juridique légitime et moralement normale. Etre un journal ne donne pas le droit de dire n’importe quoi, pas plus que d’insulter n’importe qui, et sur cet aspect, j’aurais volontiers laissé la justice statuer. Par contre, détruire un journal, l’incendier, détruire son site internet, qui se croit suffisamment « droit » moralement pour s’accorder le droit d’agir ainsi ?!

« Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je ferai en sorte que vous puissiez exprimer votre opinion ».

Charlie Hebdo, menacé... Et maintenant le Parisien. sur lepost.fr

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