10 février 2012

Daria

Je ne sais pas si je m’adresse aux générations qui ont eu le loisir d’apprécier ce personnage « haut en couleurs », mais je crois qu’il y a besoin de se souvenir d’une héroïne de dessin animé qui, mine de rien, représente pour moi le summum du cynisme graphique. Pour les personnes qui dormaient à l’époque de la diffusion de ce petit chef d’œuvre de l’animation pour adulte, Daria est une série bâtie sur cinq saisons de treize épisodes, contant les tribulations d’une adolescente de 17 ans dans un collège (appellation américaine pour lycée) ordinaire, cernée d’archétypes de ce que peut être la société décadente aux USA.

Pourquoi ai-je mis « haut en couleurs » en avant ? Parce que, paradoxalement, ce n’est pas son apparence physique qui est notable, mais bien plus son esprit critique, ses réflexions intenses sur l’humanité (et parfois sur elle-même), ainsi que son ton monocorde qui ne laisse que rarement filtrer ses propres émotions. D’un tempérament froid et cynique, Daria prend du recul avec tout le monde ou presque, elle fuit les relations humaines avec les gens trop stéréotypés… Et ce n’est pas ce qui manque autour d’elle : entre des professeurs tous plus dérangés les uns que les autres, et des « camarades » de classe qu’elle aimerait voir disparaître, et surtout une famille difficilement supportable, Daria mérite donc l’appellation d’héroïne, bien qu’elle n’agisse jamais autrement que pour soutenir ses opinions morales et sa droiture parfois psychorigide. Plus qu’un casting, les personnages secondaires sont les membres d’un véritable bestiaire !

Quinn : petite sœur insupportable de Daria, elle est le prototype même de l’ado à l’esprit gangrené par le « fashion victim ». Superficielle au possible (en public du moins), elle s’obstine à vouloir conserver son rang de quasi diva de la mode, même si le prix est physique ou moral. Sous ses aspects les plus lamentables de sa personne, elle cache tout de même de l’intelligence, qu’elle met au service de son vice dépensier, manipulant et négociant régulièrement son silence, ses sorties, ou son aide avec des parents visiblement dépassés par ces deux filles hors norme. C’est le personnage qu’on aime détester, et qu’on a du mal à plaindre, même dans les pires moments de douleur ou d’humiliation.

Les parents : entre une mère juriste implacablement accroc au téléphone portable, et un père commercial parfaitement incompétent, il n’y a pas grand-chose à sauver. Elle ? Ca n’est que rarement qu’on la voit vouloir renoncer à son image de working-girl pour redevenir une mère, et le père, lui, s’avère être un névrosé profond, incapable de saisir ce qui se passe autour de lui, et qui profite probablement beaucoup de cette image d’illuminé toujours en colère. Daria et Quinn en tirent souvent partie, les deux s’arrangeant pour récupérer de l’argent en l’échange de menus services.

Kévin : comment ne pas tiquer en constatant que cet élève est la représentation atroce de la dérive du système scolaire américain ? Idiot, analphabète, entiché de Britanny, d’une pom-pom girl tout aussi stupide que lui, il ne s’en sort que grâce à ses compétences au football américain. D’ailleurs, on le voit quasi constamment harnaché par sa tenue aux épaules démesurées, et couvert du maillot jaune et bleu de son équipe. Ses réflexions ont l’intensité d’une bougie hypo oxygénée, ce qui ne peut qu’inciter à rire de lui, quitte à se sentir cruel.

Jane : Ah, la camarade fidèle, l’artiste allumée qui a le même penchant pour le cynisme qu’elle ! Elle est la réflexion salvatrice, l’alter-ego qui épargne à Daria une solitude trop grande qui pourrait la pousser à l’homicide ou au suicide (quoique, étant trop dure, je la verrais plus prodiguant sa philosophie à la grenade, que pendue à une potence). Jeanne est fine, souvent cruelle, mais plus sensible et surtout plus pragmatique que son amie. Elle est donc une sorte de conscience personnifiée, une façon de rappeler que l’ironie n’est pas toujours la seule porte de sortie. Son frère, Trent, musicien obscur et décalé de son état, est certainement la seule marque de passion qu’éprouve longuement Daria. Grunge, fainéant notoire, il offre pourtant des morceaux de bravoure dans certaines de ses répliques.

Les professeurs : une belle brochette de cinglés ! La proviseure, prête à tout pour se donner une bonne image dans la communauté, n’hésitant pas à forcer les élèves à participer à des activités extra scolaires à des fins toujours bien claires (ah, l’image du lycée !) chapeaute une équipe enseignante aussi dérangée que dérangeante. On y dénombre : une harpie divorcée haïssant les hommes et se vengeant, en conséquence, sur ses élèves mâles, un homme efféminé ne comprenant rien ni au monde, ni à quoi que ce soit d’autre d’ailleurs, et un autre professeur pétri par la colère d’être l’enseignant d’une bande de demeurés, et amer de n’avoir aucune échappatoire. Comment voulez-vous qu’il y ait le moindre enseignement potable dans ce foutoir ?

J’aime Daria. Non, correction, je l’adore. Elle a tout ce que je peux adorer dans un personnage dans son genre. Cruelle, froide, toujours un mot d’esprit à placer, elle n’en reste pas moins sensible et lucide sur sa propre situation. Ilot d’intelligence dans des flots d’inculture et de bêtise, elle souffre de ne pas pouvoir échanger ses idées, et pire encore, de devoir tôt ou tard éprouver des sentiments. Ses relations fugaces avec Trent, sa fuite en avant pour que ses sentiments ne soient jamais dévoilés la pousse souvent dans ses derniers retranchements. Et pourtant, c’est avec ce même cœur qu’elle n’éprouve aucune réaction quand ses camarades se retrouvent dans des situations difficiles. Sarcastique jusqu’à l’extrême, on ne peut guère lui reprocher de ne pas s’attacher à ce monde qui ne lui offre que le spectacle affligeant d’imbéciles se débattant en vain pour se construire un futur morose.

Qu’en est-il de l’emballage ? Le graphisme est particulier, et peut déplaire. Il me plaît, tant parce qu’il est simple et clair, que parce qu’il est soutenu par de la musique de qualité. Le générique est, en soi, une œuvre soignée, mais les morceaux intermédiaires sont également des petites perles : David Bowie, Rage against the machine, nombre de standards du rock accompagnent les divers talents de Daria. A savourer sans modération et surtout sans honte.

Ah, si, une chose me chagrine : la série n’existe pas en DVD en France, et elle n’est plus diffusée sur les ondes (du moins en France actuellement). De fait, je ne peux pas vous conseiller de vous transformer en cibles pour HADOPI, mais à la guerre comme à la guerre hein…

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