28 août 2013

En guerre? Oui mais pour qui?

Que les gouvernants éprouvent une certaine satisfaction à proférer des menaces guerrières, je peux le concevoir. En effet, ma testostérone est bien souvent source d'agitation, et au surplus susceptible de me faire brailler sans retenue "Du sang!" sur tous les tons que ma tessiture de voix me permet. Cependant, notre tempérance (et accessoirement la peur de se prendre une raclée humiliante et très coûteuse) nous poussent tous à dire "Bon les mecs, on réfléchit, on s'assoit autour d'une table, et on va voir si cette idée de les pourrir tient la route". Résultat des courses, bien souvent les instances internationales sont si promptes à agir, que leurs ordres de bombardement arrivent bien après la fin du conflit local... Au prix de milliers de victimes abandonnées à leur sort des mois durant.

Mais tout ça, pour CA? Interrogeons-nous un peu sur le sens d'une intervention militaire en pays étranger. Il faut déjà avoir quelques bonnes raisons (comprendre par là de bonnes raisons soit politiques, soit économiques, mais certainement pas humanitaires), et aussi une caution internationale pour ne pas avoir l'air de Davy Crockett en goguette du côté de la frontière mexicaine... Ah, fort Alamo... Enfin bref, nos chers dirigeants commencent sérieusement à s'échauffer le sang face à la crise Syrienne, et envisagent de coller des bombes sur la tronche de El-Assad. Dites, les mecs, c'était il y a plus d'un an qu'il fallait leur faire le jeu du "si tu bouges, tu prends ma main dans la tronche", et pas maintenant qu'on soupçonnerait le régime d'utiliser des armes chimiques!

Comme je le disais précédemment, pour intervenir, il faut de bonnes raisons. Evidemment, à force de laisser les gens se coller des obus sur la gueule, on doit nécessairement passer par la case "Arrêtez, c'est nous les policiers du monde". De fait, quand la police intervient, elle doit identifier qui est la victime, et qui est l'agresseur. Là, en Syrie, qui tient chacun de ces rôles? La population civile? Les rebelles? Le gouvernement en place? L'armée qui soutient le dit gouvernement? Notez que je distingue le gouvernant de l'armée, parce que cette dernière est toujours capable de tourner casaque et de déboulonner les instances en place (Egypte, que ton armée est efficace quand il s'agit de coller au gnouf ceux qui ne sont pas d'accord avec vous!). Alors, on nous "informe" que ce serait les forces fidèles à El-Assad qui aurait usé d'armes chimiques pour massacrer la population et les rebelles... Ca ne dérangerait pas les gens de se dire "Hé, mais ils ont sorti la même énormité avec Hussein en Irak! Vous êtes vraiment... sûrs les gars?". Rien que ce doute devrait suffire à refroidir les ardeurs des plus hardis partisans du "Prenez mes bombes sur la poire, tas d'cons!".

Maintenant, regardons qui tient quel rôle. D'un côté, un régime dictatorial qui ne s'encombre pas avec un humanisme quelconque. El-Assad applique, en bon despote, la philosophie du "J'ai le pouvoir, si vous le voulez, venez me le prendre". En face, qui sont les rebelles? Sont-ils une population qui n'en peut plus de l'oppression, ou est-ce bien plus complexe? On va me dire que le rebelle est généralement beau et pur, honnête, prêt au sacrifice ultime... Moi je réponds simplement "Parce qu'un extrémiste qui déboulonne un dictateur devient alors un héros?". Foutaises. Dans ce capharnaüm de combats où chacun se dispute le pouvoir, on a alors: des militaires qui tiennent à leur emprise, des rebelles qui croient en la démocratie, des rebelles qui veulent une république islamiste (donc une dictature par la Foi), des civils qui fuient, des mercenaires, des pseudos rebelles qui profitent de l'anarchie ambiante pour s'enrichir et maintenir une dictature à l'échelle locale... Bref, c'est plus un gros foutoir, qu'une situation parfaitement claire et précise. Alors, qui soutenir?

Sans être expert ni même sur le terrain, je poserais volontiers plusieurs questions embarrassantes. La première est on ne peut plus simple: qui sont les rebelles? On va répondre via les différentes simplifications que j'ai fait précédemment, or, il y a une chose qui ne colle pas du tout dans le paysage. Sachant qu'un civil est rarement compétent pour utiliser une arme, et que trouver des roquettes n'est pas comme aller aux champignons, je réitère la question: Qui sont les rebelles? Il faut une organisation militaire, de l'équipement, des moyens de communication pour réussir à résister efficacement face à une armée de métier, d'autant plus quand on entend parler de villes complètes aux mains des rebelles.
Cette première question, sans réponse immédiate, amène alors à la seconde: qui les équipe? Sans arme, pas de guerre... Mais où trouver des fonds pour acheter armes et munitions, et encore plus à qui les acheter en masse? On ne vend pas des obus comme on vend des sucettes en épicerie, pas plus que les gros marchands d'armes n'acceptent d'équiper n'importe comment les rébellions. En effet, ces dits marchands sont très généralement des "copains" de gouvernements tiers, et permettent l'anarchie (ou l'ordre, tout dépend de la situation politique locale) pour que le dit gouvernement en arrière plan en profite d'une façon ou d'une autre. Alors la question est particulièrement essentielle: qui les équipe, et qui les finance? Sans cette réponse, pas question de soutenir qui que ce soit, non?
La troisième question à poser est tout aussi délicate. Posons la avec véhémence, afin de piquer au vif nos chers interventionnistes: Qui soutenir? En ce moment, on parle essentiellement de cibler les installations permettant l'usage d'armes chimiques. Admettons, je suis bonne pomme, je veux bien supposer que c'est cela qu'on va aller viser... Mais franchement, les deux questions précédentes devraient déjà vous imposer le doute le plus profond sur les moyens à mettre en oeuvre, non? Si vous ne savez pas clairement qui sont les rebelles, et encore moins qui les organise, les finance, comment choisir un camp, et encore plus comment croire ce que ces mêmes rebelles véhiculent dans leurs discours? J'ai une méfiance particulière pour ce qu'on peut appeler le "syndrome du aïe bobo ce sont eux les méchants". Qu'est-ce que ce truc? Très simple: filmez des blessés, faites affluer des gens apparemment gazés, brûlés avec des produits chimiques. Ensuite, dites qu'ils sont des civils qui se sont fait massacrer par ceux d'en face, et vous obtenez la larmichette internationale indispensable à une prise de conscience dite "collective", pour amener à bombarder le despote cruel inhumain sadique etc etc... Mais qui nous prouve, clairement et sans la moindre ambiguïté, que ces dits produits chimiques n'ont pas été utilisés par les dits rebelles, afin de manipuler l'opinion internationale? N'a-t-on pas créé de toutes pièces des dossiers contre le régime de S.Hussein avec la même thématique? N'est-on pas en droit de mettre en doute ces belles déclarations d'intention?
Maintenant, la quatrième et dernière question, qui est certainement la plus cynique du lot. Si El-Assad tombe, qui sera à sa place après la fin des combats? Il n'y aura potentiellement pas de fin de combat, il y aura probablement une guerre civile pour se disputer la place laissée vacante. Irak, Tunisie, Egypte, mêmes causes, mêmes méthodes, mêmes effets. Des pays instables, sans régime résistant à l'érosion de la foi de l'opinion locale... Bref des bourbiers innommables où l'on a viré un dictateur pour créer une anarchie, voire même une dictature potentiellement pire que la précédente. notez la Lybie: on vire Kadhafi, et on a quoi? un régime qui met rapidement en place des lois islamiques, donc comprendre un régime basé sur la dictature de la Foi... Comme en Iran quoi. Et vous voulez virer El-Assad? Vous êtes encore vraiment sûrs de vouloir lui balancer vos invendus sur la gueule? Vous êtes sûrs que vos surplus de bombes à visée laser sont à larguer sur ses installations? Laissez moi avoir quelques doutes...

Les Russes, via la voix de V.Poutine, tiennent le discours le plus cynique, et pourtant le plus logique qui soit. Ils affirment en substance que s'engager là-bas serait une terrible erreur politique et stratégique, car pour l'heure il est strictement impossible de distinguer qui que ce soit pouvant offrir au pays une sortie de guerre civile autrement que sous la forme d'une dictature. Pire encore, les Russes sont probablement parmi les mieux informés sur la situation réelle, et je les soupçonne de savoir bien plus qu'ils ne le disent. Le président Russe est un pragmatique, qui, en bon ancien du KGB, se fiera toujours bien plus à des informations jamais révélées au grand public, qu'aux services des agences de journalistes. Les inspecteurs de l'ONU? Ils doivent le faire rire, parce qu'on leur montrera toujours ce qu'on veut bien leur montrer. Une intervention militaire limitée? Que les armes chimiques existent ou non, qu'elles aient été l'outil du régime en place, ou un instrument dégueulasse de propagande, les pilonner ne servira pas à grand-chose. C'était dès le début du conflit qu'il fallait éviter la prolifération des armes sur place, coller El-Assad au pilori de manière politique et économique... Pas après des mois de combats, de carnages, et de fait de pourrissement de la situation.

Français, Anglais, Allemands, je vous préconise la plus grande prudence avant de survoler la Syrie. Ne croyez pas à ce qu'on vous vend, car comme l'a dit un certain Gilles Servat:
Je ne hurle pas avec les loups! Je dis, à vous tous qui m'écoutez : méfiez-vous. Les gentils, les méchants, c'est pour les enfants. Le bien est dans le mal comme la chaleur est dans Ia flamme. La vie est confuse, les héros vieillissent, les martyrs enfantent des bourreaux! Rien n'est simple, même Solidarité! Rappelez-vous, Israël, le Liban, Phnom-Penh libérée, le départ du tyran de Perse Vers I 'ayatollah, vers le vieil homme à la barbe lumineuse coulait la sympathie comme un fleuve invincible. Et voici : le flot de ferveur est devenu fanatisme. La dictature des croyants a éteint la lumière. Le vieillard noir, assis sur les cadavres, nous l'avons chassé de nos coeurs. Dans nos poitrines, la place était vacante pour accueillir les résistants des vallées afghanes. L'imam, démon obscur, les Afghans, héros clairs et purs, voilà l'image qu'on nous présente! La même religion les guide et les arme. Quand les résistants gagneront quel voile viendra cacher la face de l'Afghanistan? Non, je ne soutiens pas l'envahisseur. Il est exécrable, indigne, brutal, odieux, méprisable, inhumain, dégueulasse! Il doit quitter le territoire afghan tout de suite, aujourd'hui, ce soir, et cesser sa soie guerre honteuse et inutile. Je crie dehors! Mais ne m'en demandez pas plus. L'agression ne change pas l'agressé en héros clair et pur. Ne me demandez pas d'entrer dans le jeu truqué du choix simpliste le Coran ou le Capital, le tchador l'American way of life, le Pape ou le P.O.U.P., les catholiques ou les protestants, l'infarctus ou le cancer, le gaz russe ou l'atome, le coup de poing dans la gueule ou le coup de pied au cul, les SS 20 ou les Pershings. Choisis! Dans les airs se joue un opéra titanesque. A l'ouest les cons d'or. A l'est, les cons d'acier. Au milieu, les pauvres cons! Choisis ton con, camarade!

Aucun commentaire: