21 mai 2015

Incongru

L'âme humaine, quelle belle chose! On la voit comme la clarté du jour, la seule chose qui persiste après la mort, et qui représente toute la différence entre un mangeur de burgers et un ruminant voué à l'abattoir. Elle est belle l'âme humaine, cette capacité à se flatter d'avoir de l'intelligence, à se regarder avec une fierté ostensible d'avoir de l'esprit et de l'humour! Et pourtant, en quoi est-elle si belle, cette âme, d'autant qu'on n'est pas foutus de savoir où on la place.

Depuis la nuit des temps (ou plutôt l'aurore, sachant qu'on ne parle de l'âme que tardivement "grâce" aux religions), on s'interroge sur la place exacte que tient l'homme, et donc son âme, sur l'échelle de l'évolution. Certaines cultures suggérèrent de la placer dans le cœur, d'autres dans divers endroits plus moins étranges. Par-delà les croyances, aucune science, aucun découpeur à vif de carcasses n'a pu être capable d'en pratiquer soit l'excision, soit simplement une identification sûre et définitive. Alors oui, aujourd'hui on parle de l'analyse de notre cerveau, et les plus mal intentionnés décrètent dorénavant que le siège de l'âme ne peut être que cette masse gélatineuse, ceci avant tout pour emmerder ceux qui ont la foi, que pour des considérations purement scientifiques. D'ailleurs, tenter d'ôter l'âme, cela sous-entend quoi? Oter les sentiments, faire mourir "l'humanité" d'un être, ou alors carrément transformer n'importe quel humain en golem, à savoir une bête amorale et soumise? Le doute m'habite, car cela n'est guère plus qu'une lobotomie latérale pratiquée à l'aiguille à tricoter, ou d'une trépanation opérée par un chirurgien à la main fébrile. Dans ces conditions, faire du "soi" un légume, il n'y pas la moindre atteinte à l'âme, puisqu'on n'est plus dans le sentiment mais dans le concret.

Prenez l'âme et demandez-vous ce qu'elle représente. Me concernant, c'est avant tout l'idée un peu surfaite que nous ne sommes ni périssables comme une merguez sous vide, ni même temporels comme notre organisme le laisse entendre. La destruction de l'âme humaine serait, en partant de cette conception immatérielle, parfaitement impossible. Alors, quoi en penser? Si l'âme est supposée s'envoler pour le paradis, on peut suggérer que le trépané voit son âme fuir son corps dès que la foreuse à neurones vient emboutir la masse cérébrale, et que toute tentative d'appropriation chirurgicale est impossible. "Par ma barbe, alors il n'y a pas de lien biologique entre l'âme et le corps!" va dire un émule de Freud en agaçant son bouc du bout des doigts. Sigmund, grand analyste devant l'éternel, serait alors satisfait de pouvoir se débarrasser de ses contemporains en distinguant le corps et l'esprit, et donc de s'approprier définitivement le domaine de la pensée, là où la science balbutie encore à en définir le fonctionnement chimique. L'immense curiosité intellectuelle serait alors de pousser le vice plus loin en disant "Bon. Si le corps se sépare de l'âme, collons un mourant dans un caisson, et mesurons tout écart de poids, de pression, d'humidité et de tout un tas d'autres paramètres afin de percevoir la fuite de l'âme au moment de la mort". Outre l'aspect éthique évident, va-t-on donc préciser la nature physique d'une chose supposée immatérielle? Et puis, allons au-delà du raisonnable et réfléchissons à la réaction mondiale qui s'en suivrait si l'on pouvait affirmer par A+B "Enfermez l'âme de votre belle-mère dans une bouteille en plastique, car l'âme est un gaz particulier qui est émis par le sphincter au moment du décès!". Gênant, surtout quand on songerait, dans cette éventualité, que le paradis ne serait rien d'autre qu'une sorte d'immense réservoir de méthane qui se dilue dans l'atmosphère. Décevant comme paradis, non?

Il y a tout de même une prétention plus qu'obscure à vouloir perdurer après le passage du SAMU, de l'embaumeur puis finalement des asticots. Notre façon de fonctionner prête à rire, car nous sommes bien nombreux à nous croire supérieurs, pour la simple et unique raison physique d'un pouce en opposition. Alors oui, je sais, il y a énormément de gens qui ne se laisseraient pas décrire comme simiesques, et encore moins comme étant au niveau d'un babouin, ceci parce que le babouin n'est pas enclin à s'asperger d'eau de Cologne, ou à s'épiler les pattes pour plaire aux mâles. Toujours est-il qu'il n'y a là qu'une vague capacité à se mettre en avant, alors qu'en réalité nous ne sommes guère plus que des mammifères, nombreux certes, relativement intelligents, mais désespérément entêtés et enclins à nous servir de la dite intelligence à nos dépends. Car oui, nous sommes les seuls êtres sur cette terre à user de notre propre capacité contre nous-même. C'est tout de même incongru de déclencher des guerres, de s'empoisonner sciemment, de chercher le conflit là où il n'y en a pas, tout cela parce que nous cherchons un bonheur terrestre à travers la possession et/ou la domination. On me reprochera, avec un argumentaire à l'appui, de ne pas tenir compte de la territorialité vue par les animaux, ou du comportement vorace de certaines espèces… Soit. Admettons. Mais jusqu'à preuve du contraire, ces comportements sont liés non à une ambition démesurée, mais bien à une nécessité de survie! Quand un pays A attaque son voisin, c'est uniquement par ambition. On ne peut pas déclarer "A a attaqué B, parce que A ne pouvait plus se nourrir". Ce n'est plus d'actualité (ou presque). Non, là l'homme, imbécile qu'il est, va se lancer dans une conquête parce que son voisin détient ce qu'il voudrait éviter de lui payer. Si ce n'était les millions de morts, cela pourrait être presque cocasse…

Et puis, nous avons inventé un moyen aussi incongru que malsain de nous maintenir "stables". L'argent. Ah, le Dieu fiduciaire, l'élément central de notre société, le nerf de la guerre pour chaque être humain! Nous ne fonctionnons plus en terme d'évolution morale, sociale ou même culturelle, mais en terme d'évolution de position économique. Quand une personne ambitionne un poste quelconque, elle sera inévitablement attentive au montant de la rémunération. De ce fait, chaque mécanisme social, chaque élément de vie quotidienne sera dicté par la loi des "petits bouts de papier vert" (D.Adams, auteur de "H2G2"). En quoi ce bonheur terrestre pourrait-il être tributaire de l'impression et de la distribution des bouts de papier vert? Parce qu'ils représentent bien plus qu'un simple morceau de pulpe de bois imprimé, car ils représentent physiquement toute l'obscénité et l'incongruité de notre système. Plus tu as de petits papiers, plus tu es respecté. Plus tu as de piles de papier en banque, plus tu pourras prétendre t'entourer de gens "de ta classe sociale". Et à l'extrême inverse "Moins tu as de petits bouts de papier, moins tu es visible. Et si tu n'en as pas tout court, le monde se moquera de ton devenir". C'est si vrai qu'on se dit que si le papier avait une âme, elle serait aussi noire que le pire cul de basse fosse qui soit. Si l'enfer a un ticket d'entrée, il doit probablement ressembler à un de nos billets de banque.

Le monde est incongru, parce que notre attitude est incongrue. Toi qui rêvais d'être un maître du monde, et qui a emmené des nations dans sa chute, toi qui pensais que la richesse passait par le portefeuille et non le cœur, toi l'imbécile qui se suppose plus puissant parce que ta carte bleue ne rechigne pas à payer le moindre de tes caprices, vous avez tous le même niveau d'estime venant de moi, à savoir celui qui est au pied de l'échelle. On ne décrète pas qu'un être est moins bon si la somme de ses biens est trop faible. On ne décide pas du devenir des gens en les voyant comme des marchandises échangeables contre des petits bouts de papier vert. L'indécence des gens n'a aucune limite. La bonne conscience distillée par les dons aux associations caritatives (pour se rabibocher avec sa conscience déjà bien amochée), l'étendue de l'hypocrisie du "Je ne savais pas" ou du "Je n'avais jamais vu ça avant" n'a aucune valeur. A l'ère de l'information à outrance, qui peut prétendre ne pas voir où va ce monde? La moralité n'est pas prise en défaut ici, car chacun s'adapte et fait "ce qu'il peut". Il ne s'agit pas d'avoir un comportement donnant des leçons, car chacun a ses défauts, chacun s'aveugle et de tait selon ses convictions ou sa position morale. Par contre, faire mine de ne pas savoir, de ne pas voir que l'égocentrisme de l'homme est une folie, c'est immanquablement se refuser toute possibilité de progrès.

L'Homme est parfaitement stupide, et il déploie des trésors d'ingéniosité pour le rester. La folie humaine est incroyable, car elle a autorisé la création d'armes de destruction absolues, la possibilité de manipuler ce monde comme l'on jouerait avec des lego, ainsi que d'accepter que ce sont des automatismes informatisés qui régissent le monde. Qu'on n'aille pas me dire que cette informatique peut être bénéfique: ce n'est pas l'outil qui est bénéfique ou maléfique, c'est l'usage qu'on en fait. On ne dit pas d'un couteau qu'il est cruel, c'est son porteur qui peut l'être. De fait, les programmes réalisés pour la finance, pour la gestion des gens, les projets "sociaux" de très grande échelle sont tous liés par un même raisonnement: le profit. Automatiser la Vie, c'est s'exclure, c'est se mettre en danger permanent. Oh bien sûr, le progrès passe, il donne des opportunités, mais il est aussi malsain et débile de s'y noyer aveuglément. Croire que le besoin est fort, que la nécessité fait loi n'a aucun sens. Nos ancêtres ne se voyaient pas conduire des voitures, aller sur la toile, ou encore devoir lire des livres sur un écran qui tient dans une poche. Ce n'est pas le progrès en soi qui ne va pas, c'est ce qu'on en fait au quotidien. Plus on est connectés… moins nous le sommes socialement. La vérité, c'est que notre humanité doit transcender les existences réelles et virtuelles. Trop de personnes dissocient, en bons schizophrènes, leur identité réelle et leur identité informatique. C'est inepte. Les deux sont intimement liées, et plus encore que l'on pourrait le supposer. Ecoutez donc les discussions, soyez attentifs aux échanges et rendez-vous compte à quel point cela a évolué. Hier, on disait "tu as vu untel?", alors qu'aujourd'hui on dit "j'ai vu machin poster sur face de bouc". Etrange, malsain me concernant… pour ne pas conclure par un "incongru".


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